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Cyril Teste, observatoire du temps réel


Interview / Fédelm Cheguillaume * Photos / Simon Gosselin Publié dans le magazine Kostar n°54 - février-mars 2017

Au sein du Collectif MxM, Cyril Teste mêle en direct cinéma et théâtre. Ses performances creusent des sillons de questionnements sur la société contemporaine, observant les promesses et déviances des progrès en cours. Avec Nobody, ce sont les nouvelles formes de hiérarchie bureaucratique qui se voient disséquées par le sentiment d'individus à l'intimité bouleversée.


Nobody est classé « performance filmique » : pouvez-vous définir cette appellation ?

Il s'agit de la somme des laboratoires entrepris à la scène : les spectateurs vont voir un long métrage qui est réalisé sous leurs yeux par une équipe de techniciens et de comédiens, et ce, chaque soir de représentation. Nous avons élaboré une charte qui fait office de « label de qualité ». À la manière des règles de jeu mises en place par le Dogme 95, elle témoigne du fait que tout se passe en direct.


Face à l'histoire de cet employé de bureau, on pense à Fight Club de David Fincher et au théâtre brechtien. Quelles sont vos influences ?

Je pars d'un sujet de société pour étudier ce qui en a découlé : lectures, œuvres, analyses, codes. Pour Nobody, il s'agit de poser des questions liées aux nouvelles technologies dans le travail. On a tendance à imaginer un futur éloigné, alors qu'il habite déjà notre présent. De même, nous attendons une révolution numérique qui a déjà eu lieu. Le film témoigne de ce décalage entre la technologie et une écriture mentale très intimiste, à la manière de Fight Club, oui.


Peut-on parler de dénonciation de la violence au travail ?

Dans mes influences, je note aussi Elephant de Gus van Sant : on ne peut pas juger un sujet violent, on ne peut que l'observer. Je ne m'intéresse pas à la dénonciation, trop manichéenne, mais aux méthodes techniques qui sont, comme chez les artistes de la Nouvelle Vague, autant d'ouvertures, de possibilités d'interprétation.

“J'imagine un théâtre de la confidence”

Vous travaillez avec des auteurs vivants, ici Falk Richter : l'écriture doit-elle parler du présent pour être politique ?

C'est plutôt à l'écriture scénique d'en témoigner. Il existe des adaptations contemporaines qui sonnent très XVIIIe siècle. De même Katie Mitchell, qui pratique la performance filmique, utilise des textes de répertoire pour montrer à quel point ils s'incluent dans notre présent. L'essentiel étant de toujours être en marche afin de réformer des visions et d'éviter le simple constat.


Dans vos spectacles, les situations quotidiennes d'individus sont étudiées à la loupe et portées à l'écran. L'intérêt du processus est-il d’ouvrir une fenêtre sur l'intime ?

On observe, on éclaire autrement à la lumière de l'image créée par la caméra. Nous parlons de notre génération, de la porosité qui existe aujourd'hui entre travail et vie privée, de ce que la flexibilité et la mobilité changent à notre intimité. Je m'intéresse à l'ubérisation, mais je ne veux pas en montrer que les dérives. Je ne veux pas d'un théâtre militant qui incrimine le système.


Quel est donc le but ultime ?

Je vise une création qui inquiète plus qu'elle ne surplombe. J'imagine un théâtre de la confidence car rendre les autres responsables de l'état du monde, c'est trop simple. Et montrer du doigt, c'est aussi manquer de précision. La scène doit selon moi ouvrir des brèches. Nous sommes des passeurs. Et dans notre cas, les chemins sont millimétrés, précis, de l'ordre du chirurgical.


Comment travaillez-vous ces séquences qui demandent une infinie précision ?

Tout part du chaos, de l'improvisation. Ce sont des intuitions, des images qui se révèlent et, quand ça arrive, on le garde. Il y a énormément d'errance. De ce fait, ça ressemble beaucoup à la culture, au sens agricole du terme. Il s'agit ensuite d'entretenir et d'affiner des gestes qui représentent des idées.


Vos dispositifs sont autant d'observatoires du présent. Avez-vous un idéal de théâtre du futur ?

Pour moi, il faudrait continuer à pousser les gens à réfléchir collectivement, en accord avec les nouvelles technologies. L'avenir ne me fait pas peur, je suis confiant en la capacité de tous à se rassembler et c'est à nous d'être assez ingénieux pour leur en donner envie. Je ne suis pas nostalgique, j'aime mon époque plus que tout car notre présent est déjà un futur.


Nobody




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