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Robert Lepage : “Le théâtre, c’est une communion, pas une communication.”


Interview / Vincent Braud * Photo / Julie Perreault

Les temps changent. Hier, le Québec nous envoyait ses chanteurs en fin de parcours et, généreusement, nous faisions de même. C’est ainsi que Nicolas Peyrac s’est refait une santé dans “la belle province“. Avec Robert Lepage, c’est une vraie star qui débarque chez nous. Cinéma, théâtre, opéra, ce touche-à-tout de talent parle de son parcours et des pièces qu’il vient présenter.

Comment tout a commencé ?

Quand j’étais enfant, il y avait sans doute quelques indices que le théâtre m’intéressait. Un drap de lit me suffisait pour jouer aux ombres chinoises… Je ramassais les arbres de Noël jetés sur les trottoirs pour inventer des décors dans la cour de la maison. Mais c’est la géographie qui me faisait rêver… C’est à l’époque du lycée que j’ai été initié au théâtre. J’étais très timide et j’ai découvert là une forme d’expression artistique où l’on pouvait se cacher derrière le groupe et les autres.


Y avait-il quelque chose d’héréditaire dans cet intérêt ? Des antécédents familiaux ?

Mon père était chauffeur de taxi. On n’allait pas au théâtre. C’était pour les bourgeois. Comme tout le monde, on regardait la télé. Dans les années 70, on faisait des albums concepts. C’est plutôt par là que j’ai découvert la théâtralité. Le théâtre est une chose sacrée en Angleterre et les stars du rock s’y sont identifiées. Et le rock y avait sa place.


Est-ce ainsi que vous avez travaillé avec Peter Gabriel ?

C’est lui qui est venu me chercher et ça m’a beaucoup plu de travailler, à deux reprises, pour son show. J’ai eu aussi la chance de travailler avec Ariane Mnouchkine pour deux spectacles. J’aime beaucoup les projets collectifs, un peu hors normes.


Auteur et comédien, metteur en scène et réalisateur…  Vous êtes un boulimique et une star du spectacle vivant. Mais qui est vraiment Robert Lepage ?

Pas une star, juste quelqu’un qui fait son travail. Finalement, je crois que je fais tout ça pour mieux me retrouver au théâtre. L’opéra, comme le cinéma, c’est un autre langage, une autre façon de raconter une histoire. J’ai accepté beaucoup de projets parce qu’ils me permettaient d’apprendre.


“S’il y a un support de la mémoire, c’est bien le théâtre.”

Lorsqu’en 2013, on reprend une pièce comme Needles, créée en 1991, est-ce toujours la même pièce ?

Oui et non. C’est Marc Labrèche qui en avait envie. On ne va pas rejouer la même pièce. C’est un peu la sienne aussi. On a beaucoup travaillé. Il y a aujourd’hui de nouveaux moyens techniques. Il ne faut pas en être esclave, mais voir ce qu’ils peuvent apporter à l’histoire… Avec le temps, je me rends compte que je me détache de cette pièce et que le personnage a sa propre vie. Marc Labrèche en fait son truc.


Dans cette pièce, on croise Jean Cocteau et Miles Davis, deux personnages qui ne “parlent” pas forcément au public de 2015…

Aujourd’hui, pour les jeunes, l’existentialisme, Saint-Germain-des-Prés… c’est loin. À l’époque, Miles Davis venait de mourir, mais on se souvenait de lui à Paris et de sa rencontre avec Gréco. La colonne vertébrale, c’est aussi cet essai de Cocteau, écrit en rentrant des états-Unis. Il y met en garde l’Amérique à toutes sortes de niveaux. Aujourd’hui ça veut dire autre chose. Le 11 septembre est passé par là.


Voilà pour le cadre historique. Mais quel est le propos ?

C’est une pièce qui parle des relations amoureuses, de la dépendance de la drogue, des différences entre l’Europe et l’Amérique. C’est un spectacle qui parle à tout le monde.


En février, il y aura une autre pièce. Avec 887, c’est votre enfance que vous interrogez…

Ce n’est pas 887, mais 8.8.7 comme le “bloc” d’appartements où nous habitions à Québec quand j’étais enfant. Ce sont les dix premières années de ma vie et la mémoire que j’en ai. La mémoire lointaine est la plus fidèle et celle qui disparaît en dernier. S’il y a un support de la mémoire, c’est bien le théâtre. C’est donc aussi un spectacle sur le théâtre, sur la mémoire et la mémoire collective du Québec. Les gens ne se souviennent plus de ces années. Le début de la conscience identitaire, la visite de De Gaulle…


“Le théâtre c’est une machine à fabriquer et partager de la magie…”

Autour de vous, y a-t-il une “famille Lepage” ? Des gens avec qui vous aimez travailler ?

J’aime retrouver d’autres artistes qui travaillent avec moi sur les spectacles. Mais il n’y a pas, comme chez vous, de troupe ou de compagnie. Ce sont davantage des équipes de production autour d’un projet. De même que nous ne possédons pas de théâtre pour diffuser notre propre répertoire.


En 1994, vous avez tout de même créé votre propre compagnie. Vous l’appelez Ex Machina parce que le Deus, c’est Robert Lepage ?

(Rires sonores) Non, mais parce que le théâtre c’est une machine à fabriquer et partager de la magie…


À quoi doivent s’attendre les spectateurs qui ne connaissent pas votre travail ?

Le théâtre, ce n’est pas une communication, c’est une communion. Le public doit s’attendre à un théâtre qui essaie de faire se rencontrer, qui tente de raconter des histoires très simples… C’est un théâtre très ludique avec un vocabulaire baroque et l’esprit du cinéma. Le spectateur se sent intelligent, il travaille avec nous. On lui offre un déclencheur pour qu’il se fasse sa propre histoire.

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