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Être in en salles


Sans tambour © Jean-Louis Fernandez

Texte / Vincent Braud et Patrick Thibault Publié dans le magazine Kostar n°82 - octobre-novembre 2022


Avignon reste ce grand festival de théâtre et de danse qui réunit des créations contemporaines exceptionnelles. Par chance, les structures du territoire Kostar vont nous permettre d’en voir un maximum dès cette saison. Et nous avons pu les découvrir pour vous. En transit, Iphigénie, Via Injabulo… Des propositions familiales aussi avec Le petit chaperon rouge, Gretel, Hansel et les autres. Et aussi Entre Chien et loups, choc de l’édition 2021. Nous complèterons au fil des numéros par les bonnes surprises du festival Off.


Inouï

Lorsque Samuel Achache propose Sans tambour, on se doute bien que la musique ne sera pas loin. Comme d’habitude ? Non pas vraiment, tant chacune des partitions du metteur en scène est originale. Seule constante, il s’appuie sur des comédiens-musiciens-chanteurs (ou chanteurs-musiciens-comédiens) de grand talent. Et les lieder de Schumann collent à son propos avec la même ténacité que le souffle du vent un soir de mistral. Le vent, très présent ce soir-là dans le cloître des Carmes, est venu ironiquement ajouter sa note à la mise en scène. Dans ce monde en décomposition, il semble vouloir en accélérer la chute. Si Samuel Achache en appelle à une prise de conscience sur les séismes qui nous secouent, il ne veut pas nous désespérer : “Cet effondrement n’est pas un anéantissement…” Il y voit une ouverture sur de nouveaux espaces. Une ouverture “à tout le champ des possibles”. Un spectacle total, un spectacle coup de poing comme on les aime.

Sans tambour, Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 28 et 29 mars 2023.


Incandescent

Via Emaphakathini © John Hogg

Via Katlehong est une légende en Afrique du sud. La compagnie, née dans les années 90 dans le quartier déshérité de Katlehong, a choisi de porter, à travers la danse, l’énergie et l’espoir de la jeunesse. Lorsque Via Katlehong rencontre Marco da Silva Ferreira et Amala Dianor, on se dit que le plateau ne va pas tarder à s’embraser. n Un spectacle en deux parties. Huit danseurs (pour les deux créations) et une même énergie dans ce diptyque. Le chorégraphe portugais ouvre le bal. Il s’est inspiré de la pantsula, une danse très physique, “de cicatrices et de guérisons”. Amala Dianor, lui, a voulu “un hymne à la jeunesse”, entre tradition zoulou et house music pour une génération confrontée à un environnement instable. Deux créations, deux écritures mais une même énergie communicative. L’un des temps forts du festival 2022.

Via Injabulo, L’Espal, Le Mans, 10 novembre ; Le Quartz, Brest, 17 au 19 novembre ; Le Grand T à Onyx, Saint-Herblain, 21 et 22 janvier 2023.


Intemporel

Iphigenie © Jean-Louis Fernandez

C’est donc Tiago Rodrigues qui prend la succession d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon. L’auteur et metteur en scène se distingue par une approche incroyablement humaine du théâtre. Ici, il a réécrit Iphigénie d’Euripide, texte dont Anne Théron s’empare. n Si l’histoire est la même, le chœur de femmes questionne le sacrifice d’Iphigénie. C’est comme si les hommes reproduisaient indéfiniment le cours de l’histoire et de l’action dicté par les dieux alors que les femmes en appellent au libre arbitre. Iphigénie sera sacrifiée mais parce qu’elle l’aura décidé. En cela, c’est une pièce “féministe et révolutionnaire écrite par un homme” note Anne Théron. Brillamment servie par la distribution, cette Iphigénie d’apparence classique s’en échappe en permanence en ouvrant la voie d’une tragédie toujours plus contemporaine et universelle. C’est aussi ça le miracle du théâtre vivant.

Iphigénie, Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 8 et 9 février 2023.


Incontournable

En transit © Magali Dougados

Déstabilisé, c’est bien ce qui est arrivé à l’auteur iranien Amir Reza Koohestani, dans un aéroport de Munich en 2018. Il avait dépassé de cinq jours l’autorisation de rester dans la zone Schengen. Impossible alors de prendre l’avion pour le Chili. Passeport saisi, confrontation aux services de l’immigration, impossibilité de se faire entendre. Il lisait alors Transit d’Anna Sehers et s’aperçoit qu’il vit des situations similaires. Il décide tout simplement de convoquer différentes époques et différentes nationalités dans un spectacle multilingue qui mêle théâtre et vidéo. Un univers froid, aussi opaque que transparent, qui permet au spectateur de se retrouver lui-même dans cette “salle d’attente” où se joue l’avenir de milliers d’humains. Chacun s’y sent, entre transit et exil, comme un lion en cage à la recherche d’une introuvable pointe d’humanité. Tous les rôles, masculins et féminins, sont interprétés par des femmes, des actrices incroyablement justes dans une scénographie subtile et efficace.

En transit, TNB, Rennes, 7 au 10 mars 2023.


Intense

Entre chien et loup © Magali Dougados

Ce n’est plus le jour mais ce n’est pas encore la nuit. Dans cet entre-deux, s’inspirant librement de Lars Von Trier et de son excellent Dogville, Christiane Jatahy nous parle d’un monde qui ne va pas très bien. Le nôtre. Pour fuir le régime fasciste qui sévit dans son pays, Graça se réfugie dans une communauté qui a fait de l’accueil de l’autre une règle de vie. La metteuse en scène nous parle de la situation du Brésil. Mais, dans cette communauté pourtant idéale, l’exploitation de Graça, sur le plan du travail et de sa rémunération mais aussi sur le plan sexuel, nous renvoie à d’autres situations. Plus proches de nous. Croyant avoir fui le pire, la jeune femme se trouve confrontée à une situation qu’elle ne pouvait imaginer. n La question de l’exil et de l’étranger est au cœur de la démarche de Christiane Jatahy qui prend le public à témoin de cette difficulté à vivre ensemble. Le propos se perd parfois dans une écriture où théâtre et cinéma se superposent. Reste cette réflexion qui s’impose sur l’évolution de nos sociétés. Et cette citation de Brecht : “Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise.”

Entre chien et loup, TNB, Rennes, 11 au 14 octobre ; Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 15 et 16 mars 2023 ; Théâtre de Cornouaille, Quimper, 31 mars.


Inépuisable

Le petit Chaperon Rouge © Christophe Raynaud de Lage

D’où vient cette histoire de ce petit chaperon rouge ? Nul ne le sait vraiment. Charles Perrault bien sûr mais aussi les frères Grimm. C’est la version de ces derniers qu’a choisie le collectif Das Plateau. Et sans doute pas tout à fait par hasard. Dans la version française, le loup était le plus malin et la petite fille était “punie” pour son imprudence et sa naïveté. Dans la version allemande, il en va tout autrement. Le conte reste une histoire d’épreuves et de passage vers l’âge adulte. Une histoire universelle et intemporelle. Faire face à l’inconnu n’est pas le problème des seuls enfants. Alors on peut laisser aller son imagination dans cette version “poétique et jubilatoire”. Sur scène, deux comédiens qui font merveille dans une histoire du temps présent qui ne désespère pas de l’avenir. Beau et réjouissant.

Le petit Chaperon rouge, Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 7 décembre ; TNB, Rennes, 13 au 17 décembre ; Le Quai, Angers, 24 et 25 janvier 2023.


Indémodable

Gretel, Hansel et les autres © Christophe Raynaud de Lage

On ne présente plus ce conte des frères Grimm. L’histoire de ces deux enfants, frère et sœur, perdus dans la forêt et menacés par une méchante sorcière. Avant celle d’Igor Mendjisky, on ne compte plus les adaptations de ce spectacle pour enfants. Même si le monde des adultes n’est jamais loin. Pour preuve, l’injonction faite aux enfants de ranger leur chambre et d’aller dormir. C’est une adaptation très libre qui nous est ici proposée. Avec un mélange assez réjouissant de techniques entre théâtre d’objets et théâtre d’ombres, marionnettes et vidéo. Qu’Igor Mendjisky prenne ses distances avec le conte original (le titre de sa pièce annonce la couleur !) est plutôt bien vu. Il aurait sans doute pu aller plus loin dans sa réécriture. Que sa Gretel et son Hansel ne veuillent plus de ce monde, on les comprend bien sûr mais le propos se perd parfois dans une narration un peu trop démonstrative. C’est du moins l’impression que laissait le spectacle, ce jour de création.

Gretel, Hansel et les autres, Le Grand T au Théâtre Francine Vasse, 28 février au 3 mars 2023 ; Le Quai, Angers, 12 au 15 avril.

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