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Carte blanche à Saïdo Lehlouh



Texte / Saïdo Lehlouh * Portrait Photo / © Jérôme Bonnet / Photo témoin / © Raphaël Stora Publié dans le magazine Kostar n°89 - février-mars 2024


Membre du Collectif FAIR·E, co-directeur du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, Saïdo Lehlouh est une figure des danses hip hop. Il pratique une danse tournée vers le groupe, s’intéresse aux amateurs et autodidactes. À l’occasion de la création de Témoin dans le cadre du festival de danse Waterproof, nous lui donnons carte blanche.


Ma nouvelle création Témoin, créée au TNB, résulte d’un processus de travail que je développe depuis plusieurs années avec la performance Apaches. J’invite ici des danseur·ses autodidactes, « témoins » de leur époque, de leur danse et de leur génération à investir un jeu d’improvisation et une écoute profonde de l’autre.   

Si le b-boying est à la source de ma danse, j’ai très rapidement élargi mon terrain de jeu pour embrasser de nombreuses influences, au cœur du hip-hop. Cela vient aujourd’hui nourrir les différents projets que je mène, en solo, en binôme ou en collectif avec, à chaque fois, une attention sincère à la diversité des parcours et à la notion de groupe. Ainsi, je tente avant tout de valoriser des protagonistes singuliers, de questionner les contours entre la scène et le public, le plateau et l’en-dehors, et d’ouvrir des espaces qui sont des invitations au dialogue.  

Les interprètes ne se connaissent pas forcément mais, de par leurs personnalités, leurs démarches ou leurs parcours, ont toutes et tous quelque chose de commun. Mon souhait est de donner à chacun·e la possibilité d’être riche de ses propositions en se sentant à l’aise auprès des autres. Le fait d’être des autodidactes leur donne la liberté de transformer le cadre de performance qui leur est proposé. L’architecture de la masse de Témoin varie par des prises de décision individuelles, où chacun·e est conscient·e de son impact et de la capacité du groupe à assumer sa décision.   

Un nombre incalculable de personnes d’origines, cultures, milieux sociaux et âges différents, amateur·ices comme professionnel·les ont contribué à donner naissance à cette pièce, depuis la première version d’Apaches en 2018. Il y a eu des versions jusqu’à 100 danseur·ses, comme à La Canopée Les Halles à Paris, avec le Théâtre de la Ville en 2019, et en 2022 à Rennes aux Halles Martenot, avec Les Tombées de la Nuit et le festival Waterproof.   


“Il y a une dimension liée à la mémoire qui interroge la manière dont chacun·e est témoin de l’évolution de la culture hip-hop.”

Au départ, j’ai voulu travailler uniquement avec des danseur·ses qui venaient du b-boying. J’ai vécu pendant longtemps la compétition, les salles d’entraînement… J’y voyais des micro-sociétés dans une grande culture, celle du break. J’ai voulu explorer ce qui pouvait faire communauté dans des mouvements de masse, d’urgence et de circulation, en m’attachant aux traits de personnalité et de caractère de chacun·e. Et puis peu à peu, ça m’a amené à chercher ce qui pouvait être transformé d’une version à une autre, comment chaque nouveau·elle performeur·se pouvait trouver son intention et la traduire par un geste, une prise de décision ou un changement de rythme, en invitant des personnes éloignées du jeu de la culture hip-hop et de cette urgence qui la caractérise. En travaillant les présences individuelles des personnalités qui m’accompagnent depuis les prémices de ce projet, je cherche à sublimer le caractère particulier de chacun·e et prendre le temps d’affiner la circulation des énergies sensibles au service du groupe. Ici, il y a une nécessité de présence par l’action. On ne suit pas la masse automatiquement, on suit la masse parce qu’on décide d’apporter quelque chose, on suit une décision parce qu’on veut la soutenir, la mettre en valeur, même si on ne la comprend pas tout de suite. Cela veut dire être proche de ses sensations, être à l’écoute et capable d’affirmer son geste… Être prêt·e.   

Il y a aussi une dimension liée à la mémoire qui interroge la manière dont chacun·e est témoin de l’évolution de la culture hip-hop. Comment ils·elles ont pu se nourrir, se sentir touché·es par l’autre ? Quel héritage ont-ils·elles à transmettre à l’endroit de leur passion et de leur goût pour la confrontation ? La musique convoque aussi une époque, celle des années 1990, période emblématique où le rap a permis que soient prises au sérieux des revendications de cette culture.  

Finalement, il s’agit d’un passé toujours présent et d’une démarche en constante évolution à partir d’un patri·matrimoine bien ancré et qui nous amène à nous questionner sur les préceptes de valeur, de revendication et de représentation que nous souhaitons continuer à porter ou réinterroger.  


Témoin Du 1er au 3 février, TNB, Rennes ; du 24 au 27 février, Théâtre de la Ville, Paris ; du 3 au 5 avril, Maison de la Danse, Lyon.

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