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Falmarès, réfugié poétique



Interview / Patrick Thibault * Photo / Marie Dos Santos Barra © Flammarion Publié dans le magazine Kostar n°90 - avril-juin 2024


Falmarès a bouleversé le festival Atlantide et va rejoindre le festival Étonnants voyageurs. Après avoir fui Conakry en 2016, à 15 ans, il finit par arriver à Nantes après bien des épreuves. La poésie lui a sauvé la vie. Son Catalogue d’un exilé transpire l’espoir autant que la douleur. Un auteur à suivre assurément.


Comment peut-on quitter son pays quand on a 15 ans ?  

La vraie question, c’est : “Est-ce qu’on quitte vraiment son pays ?” Chaque personne a ses raisons. Il peut y avoir des causes globales comme les conflits. Moi, j’ai quitté la Guinée pour des raisons familiales. Après le décès de ma maman, des choses me mettaient en danger : c’est ce qui m’a poussé à quitter ma famille, puis mon pays. J’ai traversé le désert du Mali, l’Algérie, jusqu’en Lybie. Je n’avais pas le choix. Ce n’était pas m’exiler mais quitter ce danger familial.


Quelques années plus tard, vous écrivez que l’exil est “une promesse en enfer”. Avez-vous des regrets ?  

Aujourd’hui, je me sens bien en France. Je n’ai pas d’aigreur par rapport à ce chemin mais je ne le recommanderais pas à qui que ce soit, même à ceux que je n’aime pas. J’ai vu des choses difficiles et atroces. Il y a les violences physiques, psychiques mais aussi des gens qui perdent la vie ! Le seul regret que j’ai, c’est le décès récent de ma grand-mère. C’est quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi et qui compte encore. Et on ne s’est pas revu. 


Pourquoi la France, finalement ?  

Naturellement, c’est la langue. Quand je suis arrivé en Italie, j’ai pris la décision de venir en France. Avant, je ne savais pas où j’irais. Le français est notre langue mais on connaît aussi beaucoup de choses sur la France. Bien plus que sur la Belgique, la Suisse ou le Luxembourg. On a aussi une histoire commune. Le choix de la ville de Nantes n’est pas un choix littéraire. Je ne connaissais que le FC Nantes et ses couleurs grâce au joueur guinéen Ismaël Bangoura. C’est ce que j’ai d’abord aimé. Plus tard, j’ai découvert la dimension littéraire, la ville et tout ce qu’est Nantes. Maintenant, je m’y plais. C’est ma ville d’accueil.


“La poésie m'a choisi parce que c'est elle qui m'a bouleversé.”

Vous expliquez ce besoin d’écrire, quand vous arrivez en Italie, pour rester en vie…   

Quand je suis arrivé en Italie, j’étais traumatisé par tout ce qui s’était passé en une année. Je n’arrivais pas à dormir. Je n’arrivais pas à comprendre que mes compatriotes puissent maltraiter les leurs. En Afrique, on se dit facilement frères et, une fois en Italie, on ne s’entraidait pas, je ne pouvais pas accepter une chose pareille ! Quand je lisais, ça m’aidait à m’endormir. C’est le désir de la lecture qui m’a poussé à écrire. Des choses qui n’avaient rien à voir avec l’exil. J’ai apaisé ce traumatisme. La lecture est reconnue comme une thérapie. Sur moi, ça a marché et la poésie m’a sauvé.


Écrire pour vivre, d’accord, mais pourquoi la poésie ?  

En Guinée, je n’avais jamais lu un poème. Quand j’étais au collège, il y a néanmoins eu un moment où une délégation administrative nous a demandé si on voulait réciter des textes. J’ai été volontaire avec deux camarades. On m’a donné Le loup et l’agneau de La Fontaine. Je l’ai récité, disons-même que je l’ai déclamé. C’est le seul moment où j’ai été en contact avec la poésie. Ce n’est pas moi qui ai choisi la poésie, c’est elle qui m’a choisi. 


Mais comment ?   

Arrivé à Nantes, j’allais à la Médiathèque (Jacques Demy ou Lisa Bresner), j’y ai découvert la poésie et d’autres genres littéraires. J’aime la force du verbe et la métaphore. J’ai trouvé une force qui me calmait. Il faut savoir que c’était des moments très agités intérieurement. On entend beaucoup de choses sur l’immigration et les migrants. Ça me berçait, je me sentais en sécurité en écrivant. Je me demandais si j’étais légitime mais j’ai été marqué par une bibliothécaire qui m’a dit : « Tu peux écrire en continuant de lire, tu n’es pas obligé d’avoir tout lu. » Ça m’a bouleversé. Ça a changé mon regard. La poésie m’a choisi parce que c’est elle qui m’a bouleversé. L’Iliade et L’Odyssée, j’ai trouvé ça fabuleux. Quand j’ai découvert Rimbaud, je me suis dit qu’il a tout écrit avant 20 ans et il est aujourd’hui parmi les cinq poètes les plus célèbres. 


Pourquoi Falmarès ?   

Quand j’étais à l’école primaire, un ami m’a appelé comme ça. Avec le temps, on m’appelait comme ça. Même dans ma famille. Alors j’ai fini par accepter. Naturellement, je l’ai gardé.


Vous écrivez, “je ne suis pas un migrant, je suis un enfant de tous les pays…” Pourtant, c’est bien comme migrant que vous êtes perçu à votre arrivée ?   

Oui. Je l’ai dit pas mal de fois, quand on parle de migrants, on ne parle pas de tout le monde, on fait allusion à des personnes qui viennent de pays pauvres, d’Afrique, de certains pays du Moyen-Orient et d’Asie. Pour d’autres, disons les Occidentaux, qui viennent d’Europe ou d’Amérique, des pays développés, on dit des expatriés ! Migrant n’est pas un mot juste. Le “je” que j’emploie n’est pas un “je” singulier. Le “je” du poète est un “je” pluriel. Ça parle à beaucoup de gens. D’où qu’il soit, un enfant fait partie de l’humanité. Nous sommes tous des êtres humains.


“Migrant n'est pas un mot juste.”

Il y a, ici en France, tout un débat sur l’immigration, sur l’intégration… Que diriez-vous, aujourd’hui, à un jeune Guinéen de 15 ans ?   

Qu’il soit là-bas ou ici, je lui dirais tout simplement qu’il n’a pas toute la vie devant lui mais sa vie devant lui. Je lui dirai que, s’il a la chance d’aller à l’école, il faut prendre l’éducation et les études au sérieux, et écouter ses parents. À 15 ans, on est jeune et on doit se dire que, quel que soit l’endroit où nous sommes, les choses sont possibles. On dit “tu as toute la vie devant toi”. Or, il faut comprendre qu’on n’a que sa vie devant soi.


Comment retrouvez l’enfance et l’innocence après tant d’épreuves ?   

Avec la poésie ! Le poète écrit sur son enfance. Et durant toute sa vie. La poésie, c’est quelque chose d’assez mystérieux. La poésie vient de l’enfance, le poète est quelqu’un qui se souvient : de son enfance, des histoires, de ce qu’on dit. On sent cette part de sincérité de l’enfance, du pays, de l’attachement aussi. Et c’est ce qui élimine la barrière de l’âge.


“Il faut trouver la lumière même dans les moments les plus difficiles.”

On finit quand même par se demander si la langue française ne sera pas sauvée par les auteurs d’origine africaine…   

Nimrod l’a bien dit ! Il a dit que la langue française est aujourd’hui une langue africaine. Cette phrase résume bien l’importance de la langue et des mots. Les écrivains africains aiment cette langue et se l’approprient comme leur langue. D’ailleurs une langue n’a pas de nationalité. Ça devrait être ça la francophonie. Quand je parle à un Ivoirien, à un Sénégalais ou à un Belge, je parle en français. C’est bien ça la francophonie et c’est riche d’avoir cette zone de partage. 


Nimrod écrit dans la préface de Catalogue d’un exilé : « la douleur ne nous assomme jamais. Son lyrisme est un baume salvateur », comment fait-on pour être aussi optimiste quand on a vécu tant d’atrocités ?   

C’est grâce aux gens que j’ai rencontrés. Grâce à eux, j’ai réappris à croire en l’humain. Regardez Senghor, malgré ce qu’il a vécu, c’est très apaisant aussi. Grâce à Joseph Pontus qui a été très important dans ma vie. On s’est connus en 2019, présentés par une librairie de Belle-île-en-Mer. Il m’a écrit, m’a dit vient à la maison. On a passé tellement de bons moments. Mes premiers éditeurs qui m’ont donné la chance de m’exprimer. Grâce à eux, grâce aux livres… Malgré les moments de douleurs, il faut trouver la lumière même dans les moments les plus difficiles.


Vous avez marqué Atlantide de votre présence et vous serez de la prochaine édition d’Étonnants voyageurs, quelle importance ont les festivals pour un auteur comme vous ?   

Atlantide a été un moment grandiose. La rencontre avec le public, avec des associations, ce sont des moments de reconnaissance. Un écrivain écrit dans la solitude, pas dans la douleur mais dans l’ombre. Il faut se cacher, mûrir. Ça demande du temps. Être reconnu par ses pairs et les lecteurs, c’est la plus belle chose pour un auteur. C’est la seconde fois que je suis invité par Étonnants voyageurs, un des plus grands festivals en France. C’est un moteur. 


Beaucoup de textes sont bouleversants mais il y a ce vers : « Ami, dans ce voyage, C’est le rêve d’un monde imaginaire qui tue »…   

Ça explique aussi le moment que nous vivons, avec les réseaux sociaux. Une des plus grandes révolutions que le monde ait connu. On publie ici et, à Jakarta, on le voit tout de suite. En Afrique, les jeunes achètent un téléphone. Ils ont peu de connexion mais voient un autre jeune à Chicago ou à Paris. À cet âge-là, on ne réfléchit pas toujours. C’est aussi l’une des raisons et des causes de départ. On a aussi l’image de l’Occidental qui vivrait dans le luxe. Et à l’inverse, les Africains, tous pauvres, qu’il faudrait tous aider. Alors oui, c’est parfois le rêve d’un monde imaginaire qui tue.  


Falmarès

Catalogue d’un exilé (2023), Flammarion.

Soulagements (2018) et Soulagements 2 (2020), éditions Les Mandarines.

Festival Étonnants Voyageurs, Saint-Malo, 18 au 20 mai.



Photo © Tangui Jossic pour Kostar

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