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Une ville ailleurs : Beyrouth par Matthieu Haag


Photo du film L'Héritage


Réalisateur de films et photographe, Matthieu Haag est un voyageur impénitent. Après Lumière d’étoiles et L’Orphelinat, il est retourné au Liban pour y tourner un second film. L’Héritage récolte les prix dans tous les festivals où il passe. En attendant sa sortie en France, le Nantais dresse le portrait de Beyrouth, personnage à part entière de son film.



La première fois que j'ai vu Beyrouth, j'en suis tombé amoureux. Littéralement. C'était en 2009. Pour son effervescence de vie, cette façon qu'ont les Libanais d'avancer sans se préoccuper du lendemain. Le fameux Inch'Allah. Et surtout, depuis ce premier jour où j'ai posé le pied sur le tarmac de l'aéroport Rafic Hariri, la lumière unique de la ville, cette atmosphère un peu sandy, comme disent les chef-opérateurs de cinéma, ne cesseront plus jamais de m'habiter.

J'y tourne un premier court-métrage en 2012, Un Parfum de Liban ancré dans la culture du pays qui interroge la question de la virginité au moment du mariage. Le film réunit trois protagonistes, ou non, plutôt quatre, car Beyrouth y joue déjà un rôle, c'est le quatrième personnage de l'histoire. Car la puissance magnétique dégagée par la ville donne à chaque plan en extérieur une énergie rare.

4 août 2020

Une explosion de plusieurs milliers de tonnes de produits chimiques dévaste le port de Beyrouth et les quartiers environnants. 200 personnes trouvent la mort, 6.000 sont gravement blessées, 300.000 se retrouvent sans logement.

Je prends rapidement un avion pour aller voir mes amis libanais, savoir comment ils vont, comment ils vivent, comment ils se débrouillent avec cette onde de choc aussi visible dans le port que présente au quotidien dans toutes les têtes.

Je découvre alors un Beyrouth tétanisé et exsangue. Cette ville auparavant en mouvement est devenue une photo figée.

Au milieu du port détruit, nombre de volontaires étrangers soutiennent les Libanais qui commencent déjà à reconstruire les maisons. Mais moi qui ne suis ni maçon ni menuisier, tout ce que je vais pouvoir faire, c'est aider en témoignant. Avec mon appareil photo, je sillonne la ville. Tout s'est arrêté, il me semble que même la lumière de Beyrouth s'est éteinte. Je rapporte cependant de ce voyage-là une exposition, une vingtaine de clichés en noir et blanc. Mais j'éprouve un sentiment d'inachevé et je reviens peu de temps après, cette fois avec une caméra.

Je découvre avec tristesse un Beyrouth qui s'est enfoncé encore un peu plus dans la morosité. Les livres libanaises ne s'échangent plus qu'au marché noir. Le prix de l'essence a été multiplié par 20 et un plein coûte maintenant un SMIC pour ceux qui sont payés en livres libanaises. 80 centimes le litre si on le paye en euros. La ville n'a plus que deux à trois heures d'électricité par jour, les feux rouges ne fonctionnent plus faute d'énergie. De toute façon, il n'y a plus de voitures à réguler. Il n'y a plus cette insouciance d'avant, la corniche est vide alors qu'elle grouillait de monde il y a quelques temps encore. Mais je ne peux pas me morfondre, j'ai un film à faire. Inch'Allah.

La fiction que je tourne est le récit d'une transmission, l'histoire d'un père et de sa fille enceinte.

Le père est en train de rénover l'appartement de famille, détruit lors de l'explosion dans le quartier du port, il s'apprête à l'offrir à sa descendance, une sorte de coup de pouce dans la vie. Ce père s'est relevé de tous les événements des dernières décennies, guerre civile, agressions militaires, attentats. Et il a toujours tenu, luttant sans relâche pour reconstruire son pays. J'en ai rencontré des pères comme celui-ci, lors de mes quinze voyages au Pays du Cèdre !

Sa fille Zeina, pourtant élevée dans cette famille patriote, n'en peut plus de Beyrouth, l'explosion du port est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, elle veut partir. Elle veut quitter, comme disent les Beyrouthins. Elle est comme tous les jeunes Libanais que je croise, prise en étau entre leur devoir national et leur survie personnelle. Une grande partie de mes amis libanais vit dorénavant aux États-Unis, en France, au Canada, une déroute qui s'amplifie à chacune de mes visites ici.

Tout au long de L'Héritage, une lourdeur pèse dans l'appartement, entre les deux protagonistes. Et au loin, se profile un troisième personnage, le squelette fantomatique du port. Au second plan depuis le balcon, dans la profondeur du champ, la trace des silos détruits irradie d'une énergie sourde, vestige à ciel ouvert de l'échec d'un gouvernement incapable et corrompu.

Il s’agissait ici pour moi de raconter une histoire qui tourne en rond, un cercle vicieux qui se répète depuis des décennies. Un pays qui ne cesse de s’autodétruire et de contraindre son peuple à le déserter. Le Liban n’en est pas à sa première tragédie mais il me semble que celle-ci dépasse toutes les autres.

La poétesse Nadia Tuéni écrivait : "Beyrouth, mille fois morte et mille fois revécue". Espérons cette fois que mon Beyrouth que j'aime tant se réveillera au plus vite de sa 1001e nuit ?




Circuit Kostar

Depuis l’explosion, Beyrouth n’est plus la capitale vibrante qu’elle était. Si les touristes se font plus rares, il n’est pas impossible de s’y rendre. La partie détruite n’est pas celle qui réunit les sites touristiques attractifs. Si on ne vous recommande pas trop les souks en restauration car ils tiennent de la galerie commerciale moderne, la visite s’impose au Musée national pour découvrir ses trésors. Le Musée Sursock, lui, n’est pas encore restauré mais, la maison du même nom, témoigne de la vieille splendeur libanaise et présente des expositions.

C’est dans le quartier de Gemmayzeh qui a presque bénéficié de l’explosion puisque les maisons qui devaient être détruites pour construire des immeubles sont restaurées les unes après les autres. Vert et animé, le quartier est l’un des plus vivants. On n’oublie pas de découvrir l’exposition sur le son de Beyrouth présentée sur l’emblématique escalier Saint-Nicolas. Une sorte de mémorial sonore.

Les guides l’indiquent peu mais un passage s’impose dans le quartier arménien de Bourj Hammoud avec ses marchés typiques. Si la corniche est moins vivante, elle reste sympathique. Les familles se retrouvent toujours autour du rocher Al Raouché, le lieu favori pour les selfies. On y fréquente le restaurant Manara, un incontournable en bord de mer, juste à côté du phare.

Pour manger typiquement libanais, on se précipite dans le quartier populaire de Bachoura qui aligne les restaurants de falafels exceptionnels. Enfin, le quartier de Badaro, celui des “expat”, réunit les bars branchés qui proposent des concerts.


Y aller

Depuis Paris avec Middle East ou depuis Lyon avec le low cost d’Air FranceTransavia à partir de 300 € l’aller-retour


S'y loger

Meilleure place de la ville, le Grand Meshmosh Hotel tenu par un jeune Libanais francophone dans le quartier de Gemmayzeh, autour de 50 € la nuit.

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