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Carte blanche à Laurent Brethome



À peine sortie de La Dame de chez (Céline) Maxim d’après Feydeau, toujours en tournée, le metteur en scène Laurent Brethome s’attaque à Amsterdam, un projet théâtral qui fait envie. Metteur en scène et comédien, Laurent Brethome, de la compagnie Le Menteur volontaire (La Roche-sur-Yon) continue son bonhomme de chemin sur les scènes de France et on a toujours plaisir à le suivre.


Texte / Laurent Brethome * Photo / Thomas Badreau Publié dans le magazine Kostar n°82 - octobre-novembre 2022


Parfois le théâtre c’est aussi une histoire de baskets.

Une histoire d’usure sur des chemins de traverse qui nous permettent de nous arrêter sur le bord de la route et de contempler le sillon creusé.

Cela fait quatre ans maintenant que je porte aux pieds et au cœur cette pièce encore inédite en France de l’autrice israélienne Maya Arad Yasur.

Tout avait commencé un soir de novembre 2018 au Théâtre Cameri de Tel-Aviv.

Ce soir-là, je faisais les cent pas devant le bureau de production.

Nous devions, avec mon administrateur, rencontrer l’autrice de ce texte que j’avais découvert quelques mois plus tôt et qui m’avait submergé, pour signer les droits d’une œuvre totalement inédite en France et donc pas encore publiée.

Angoisse.

Même mes souliers étaient en sueur.

Pendant deux ans, j’ai sillonné l’Europe avec mes baskets (Munich, Londres, Tel-Aviv, Amsterdam…) pour observer le phénomène de cette œuvre absolument bouleversante et comprendre comment d’autres sensibilités pouvaient trouver la porte d’entrée à une mise en abîme d’un texte qui, dans sa structure, n’a que peu d’équivalent aujourd’hui dans le théâtre contemporain.

À cause de la pandémie, le projet n’a cessé d’être repoussé en France mais a pu heureusement trouver le temps d’être enfin publié et surtout d’exister dans un tourbillon de prix et de reconnaissances du milieu théâtral européen. (Serbie, Allemagne, Finlande, Angleterre, Israël…)

Avec Amsterdam, dans la nuit du 26 août dernier, j’ai encore usé mes baskets en faisant des allers-retours dans mon bureau. Le musicien du spectacle venait de m’envoyer les dernières retouches à la création sonore. Vers deux heures du matin, je me suis déchaussé et j’ai versé quelques larmes.

Des larmes de joie, d’excitation, de soulagement et de peur.

Dans bientôt deux semaines, j’userai mes baskets dans les travées de la grande salle T900 du Quai à Angers pour donner vie le 4 octobre prochain en ouverture du GO festival à une aventure de plus de quatre ans.

Quatre ans qu’avec les équipes de la compagnie, nous travaillons d’arrache-pied à donner naissance à ce texte génial.

Des années à essayer de soulever des montagnes dans un contexte post-Covid qui n’est pas tendre avec une proposition artistique d’un texte contemporain d’une autrice encore inconnue en France. Monter un Molière ou un petit Marivaux “des familles” m’aurait sûrement permis de moins user mes baskets… Mais je préfère le chemin de croix de mes pieds en sang plutôt que le confort d’un mocassin bourgeois.

Alors cette nuit de fin d’été, j’ai pleuré un peu. Et puis, j’ai remis mes chaussures. Et je suis allé me balader au bord de l’eau. Au bord de l’océan que j’entends depuis mon jardin.

Je suis allé regarder le ciel et j’ai cherché dans les étoiles celle qui brillait le plus.

J’ai cherché l’étoile qui brillait le plus fort dans le ciel parce que le désir de cette création est né alors que, la même année, arrivait dans ma vie ma petite fille avec laquelle je regarde toujours les étoiles pour chercher à être émerveillé par ce qui nous dépasse.

En regardant le ciel, je me suis souvenu à quel point j’avais été bouleversé au plus profond de moi, en lisant cette pièce la première fois. L’histoire de cette jeune femme confrontée à son présent d’étrangère juive-israélienne dans Amsterdam, qui va tenter de comprendre pourquoi il lui revient de régler une note de gaz impayée. Qui enceinte de neuf mois va donner naissance à une petite fille dans un appartement où les pires secrets sont enfouis dans les murs.

Alors cette nuit-là, j’ai marché pour regarder le ciel.

Et demain, je marcherai pour regarder le public.


Amsterdam, GO Festival, Le Quai, Angers, 4 au 6 octobre ; Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 11 et 12 octobre ; Les Quinconces, Le Mans, 18 octobre ; Le Théâtre, Saint-Nazaire, 8 décembre.





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