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Carte blanche à Clément Pascaud



Texte / Clément Pascaud * Photo / Greg Bréhin Publié dans le magazine Kostar n°87 - octobre-novembre 2023


Avec sa compagnie Le point d’un soir, Clément Pascaud, metteur en scène et acteur, explore des textes qui questionnent l’identité, la quête de soi. Juste la fin du monde et Jackie ont marqué le public. Et on l’attend avec Serena, spectacle consacré à Serena Williams.


Cette création est née d’un rapport intime dans mon parcours avec Serena. Depuis ma jeunesse, elle a été un modèle, une source d’inspiration : sa puissance, sa force, sa volonté, sa personnalité « extraordinaire ». Dans mes années collège, elle fut pour moi une protection, un repère que j’observais dans mes instants de construction personnelle et intime. Je me souviens parfaitement le jour où je l’ai vue à la télé. C’était le 4 juin 2002 à 15h en quart de finale à Roland-Garros face à Mary Pierce. À partir de ce jour-là, je n’ai jamais lâché Serena.

De 1998 à 2022, Serena Williams a été une légende du sport au-delà même du tennis mais aussi une parole politique par le caractère exceptionnel de son parcours : lutte contre le prédéterminisme, lutte contre le racisme, lutte contre les stéréotypes. Elle est la sportive contemporaine. Serena Williams, c’est aussi un corps, un corps qui fut jugé, maltraité, offensé. Un corps qui a bousculé les stéréotypes et qui, à la manière d’une Penthésilée, s’est affirmé et revendiqué car, au-delà du point commun avec la guerrière qui est intrinsèque à la sportive de haut niveau, c’est la représentation d’une femme qui se bat pour être l’égale légendaire des héros masculins.

Serena, c’est aussi le paradoxe d’une société américaine qui, au début de sa carrière, en fait une anti-héroïne, puis qui, par l’observation des changements de société, en fait la porte-parole de nombreuses causes. Serena Williams, c’est aussi une actrice, actrice de sa propre vie avec une propension au storytelling mêlant drame personnel, histoire de famille, amour contrarié. Elle est passée de Cendrillon à l’Amazone, à Beyoncé en revenant en mère Courage : allégorie d’une abnégation.

La création Serena est le travail sur un mythe contemporain engendrant la question : comment écrire nos nouveaux mythes ? Question sous-jacente de la compagnie. Cette fois-ci, le mythe se situe dans le tennis et le sport de haut-niveau. Ce milieu fait de victoires, de défaites, de pleurs, de peurs et de sueur.

Dans mon travail artistique, c’est la première fois que je mets en scène et joue un personnage qui passe du collège à l’âge adulte. Cet âge m’intéresse car il est le reflet de la première construction sociale que nous nous forgeons avec cette question : les modèles que nous nous construisons ont-ils le droit d’être éloignés de notre construction sociale, de notre condition sociale, voire de notre apparence physique ? Le jeune homme frêle que j’étais au collège n’aurait peut-être pas autant aimé les déesses grecques s’il n’avait pas rencontré Serena Williams.

Pour cette création, j’ai passé la commande d’écriture à Marion Solange Malenfant, avec passion et enthousiasme. On se plonge dans cette légende à la lisière entre le conte et le théâtre récit.

À l’heure où j’écris ce carnet de création, je suis en pleines répétitions, on travaille la forme scénique, on essaye de trouver l’équilibre entre la documentation nécessaire pour comprendre le mythe Serena Williams et trouver la singularité du regard du jeune fan de Serena Williams. Je dois convoquer des souvenirs, des sensations, des fantasmes pour retrouver certaines anecdotes de ma fan-attitude avec Serena. Les souvenirs que l’écriture de Marion et le plateau de théâtre ont écrits, je laisse le mensonge s’y introduire. Car quand on avait demandé à Serena ce qu’elle pensait du film La Méthode Williams, elle avait répondu : « Il y a même des choses vraies. »


Retour aux sources


Ce projet a démarré par une résidence de recherche en mai 2022 via un dispositif du PadLoba / Annabelle Sergent en partenariat avec le THV / Théâtre de l’Hôtel de Ville de Saint-Barthélémy d’Anjou, scène conventionnée d’intérêt national Art, enfance, jeunesse. Nous étions invités en duo autrice / metteur en scène.

Notre résidence a démarré en mai 2022 au PadLoba, nous avions comme première note d’intention : Mythologie contemporaine et spectacle à partir de la 4ème. Lors du travail en amont, nous avons pris conscience que traiter le mythe d’Antigone ou d’Iphigénie nous entravait car nous avions la sensation de réduire la fondation du mythe et de l’édulcorer. Alors nous nous sommes posé la question : quel est le mythe contemporain féminin qui déplace le regard de la société ?

Nous est alors revenue en mémoire une conférence-performance que j’avais mise en place deux ans auparavant où la question était « notre modèle caché » et mon choix s’était porté sur Serena Williams. À partir de cet instant, tout s’est éclairci : on décide de se baser sur cette icône joueuse de tennis, figure qui regroupe les thématiques qui nous sont chères.

Il nous est apparu cohérent que je joue le protagoniste principal, car notre volonté est de situer cette écriture à la lisière du souvenir adolescent, du fan et, d’un point de vue théâtral, je questionne mon rapport à la femme, à l’actrice, aux héroïnes qui ont accompagné mon parcours et mon intimité, d’homme homosexuel venant de la campagne.

Deux mois après cette résidence de recherche, Serena prend sa retraite sportive. Ce 3 septembre 2022, sur mon balcon à 3h du matin, elle venait de jouer son dernier match, notre histoire était finie. Alors que j’ai pensé à ce 4 juin 2002, où elle m’a sauvé et, ce 3 septembre 2022, 20 ans après elle m’a inspiré. Ce sont ces deux verbes « Sauver » et « Inspirer » que j’essaierai de mettre en mots début novembre.


Serena, Le Quatre, Université d'Angers (Coréalisation Thv, Le Quai), Du 8 au 10 novembre ; Ernée, les 7 et 8 décembre ; Théâtre Onyx, Saint-Herblain, 12 décembre ; Eve, Les Quinconces, Le Mans, 16 janvier 2024 ; Tu-Nantes, du 30 janvier au 1er février ; Espace Simone de Beauvoir, Treillières, 24 mai.

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