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Filmer la musique : François-René Martin, tempo moderne

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  • 27 mars
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 avr.


Interview / Matthieu Chauveau * Portrait photo / © Joana Martin Arrobas Publié dans le magazine Kostar n°95 - avril-juin 2025


Intimement lié à La Folle Journée, il connaît son classique sur le bout des doigts. Réalisateur chevronné de concerts filmés, François-René Martin réinvente le film musical en en faisant une véritable création artistique, comme en témoignent ses œuvres récentes autour de Maurice Ravel, à l’occasion des 150 ans de la naissance du compositeur. 


Les critiques sur votre film Ravel en mille éclats sont dithyrambiques, vous vous y attendiez ?  

Avec mon co-réalisateur Gordon, nous sommes allés dans une direction assez inédite, donc je me doutais que le film allait faire parler. Mais je ne pensais pas que les critiques seraient positives à ce point. Tout le monde a été très surpris qu’il n’y ait pas de voix off. Que ce ne soit pas un documentaire au sens littéral, mais bien un film musical.


Un film musical, c’est donc différent d’un film sur la musique ? 

Oui. J’ai fait des études de cinéma mais la musique a toujours été plus importante pour moi. Je viens de là. Quand je travaille, les premières choses qui me viennent en tête, c’est ce que la musique me raconte. J’écoute toujours la musique les yeux fermés et j’essaie de laisser aller mon imaginaire en me demandant ce que j’ai envie de voir. C’est peut-être là que ça devient un film musical, parce que c’est la pulsation de la musique qui donne le tempo du film. 


“Pour une œuvre qui dure 15 minutes, on a tourné 2 jours avec tout l'orchestre.”

On sait peu de choses sur la vie de Ravel, quels fils avez-vous voulu tirer ? 

On a réécouté presque toute son œuvre et on a sélectionné nos pièces coups de cœur. On a ensuite essayé de trouver une dramaturgie. On est d’abord parti des écrits de Ravel, qui se sont révélés presque trop terre à terre. Ils enlevaient une part de mystère. C’est en nous rendant à la BNF, qui possède un fonds photo, qu’on a découvert le Ravel qu’on voulait montrer : quelqu’un d’un peu réservé mais avec une vraie présence. On a donc décidé de raconter Ravel à travers ces images.


Et il y a le Boléro que vous avez filmé avec l’Orchestre de Paris et qui ouvre l’expo Ravel Boléro, sur écran géant à la Philharmonie de Paris…  

En décembre 2022, on est allé voir la Philharmonie pour leur demander si on pouvait pas faire quelque chose avec l’Orchestre de Paris, qui est l’orchestre maison. Il s’agissait alors seulement de Ravel en mille éclats. Le même jour venait justement de naître l’idée d’une exposition sur le Boléro pour les 150 ans du compositeur ! On nous a proposé cette collaboration pour l’exposition. Il s’agit d’une installation sur un écran de 12 x 3 m. On se prend l’image en pleine face, c’est très immersif. Pour une œuvre qui dure 15 minutes, on a tourné 2 jours avec l’ensemble de l’orchestre, ce qui est énorme !


Avant Ravel, il y a notamment eu Quinte et sens, tourné justement à la Philharmonie en 2021, qui marque une rupture dans votre travail…   

Avant, je faisais des captations de concerts. Le confinement est arrivé et je me suis arrêté de travailler du jour au lendemain. C’est à ce moment que la Philharmonie m’a appelé pour ce projet. Ils étaient fermés jusqu’à nouvel ordre avec leur orchestre disponible. Ça a été l’opportunité de travailler sans les contraintes du direct et sans public. Ça faisait longtemps que je voulais faire quelque chose de différent et là on avait tout à imaginer, avec du temps. Ce qui est rare dans notre monde où tout doit être hyper rapide et rentable…


Dans ce film, en plus des musiciens, vous mettez en valeur le bâtiment de Jean Nouvel. L’architecture, n’est-ce pas aussi un peu de la musique ?  

Complètement. Dans Ravel, on filme d’ailleurs le Couvent Sainte-Marie de La Tourette de Le Corbusier, dont les vitraux rectilignes ont été dessinés par Xenakis, qui était un grand compositeur. Le lien entre musique et architecture, c’est l’abstraction. Il s’agit de deux formes artistiques assez abstraites. Un bâtiment peut évoquer pas mal de choses et pourtant, c’est des matériaux. La musique c’est la même chose : à partir de notes naît une sensibilité. 


“Si j'ai une mission, c'est de rendre la musique classique vivante et actuelle.”

Vous avez aussi récemment filmé Orphée & Eurydice, l’opéra de Gluck, dans une grande halle désaffectée pour Arte…  

Sous la direction musicale de Raphaël Pichon de l’extraordinaire ensemble Pygmalion. Cette expérience a été l’occasion de m’éloigner des captations plus classiques, comme je peux en faire par ailleurs pour l’Opéra de Paris. J’ai pu filmer sur plusieurs jours, faire durer les plans… C’est un film, je pense, assez émouvant. Avec un côté deep qui est aussi lié au lieu, avec le béton. Je suis fou de musique classique, or cette musique a une image parfois guindée, austère auprès des jeunes. Si j’ai une mission, c’est de rendre la musique classique vivante et actuelle. Lui donner un regard un peu plus d’aujourd’hui, puisque nous sommes dans un monde de l’image.


Justement, comment traduit-on en images la musique ?  

Il faut l’écouter, essayer de la comprendre, au moins émotionnellement. Les moments où il y a de la joie, où ça ralentit… Essayer de trouver la dramaturgie de l’œuvre. Moi, j’ai envie de filmer des musiciens parce que c’est un art vivant mais d’autres préfèrent filmer des paysages. La musique, c’est pas comme le cinéma de fiction où, juste avant une réplique, on dit « action ». Un musicien a besoin de jouer pour rentrer dedans. Les musiciens, je les pense comme des acteurs, mais plus de théâtre que de cinéma. Ils ont besoin d’être dans un flow, une énergie. Si tu ne joues que 20 secondes, tu ne l’as pas…


“Mon père m'a inculqué ça : la beauté des musiciens.”

Vous êtes le fils de René Martin, créateur de La Folle Journée. On imagine que vous avez été biberonné à la musique classique…  

Complètement ! J’ai baigné dedans, en assistant à des concerts depuis l’âge de 3 ans. Mes premières Folles Journées, je faisais 8 concerts par jour avec ma sœur et mon frère. J’y ai découvert Bach, ça a fait ma culture musicale, en plus du Conservatoire de piano à Nantes. J’ai aussi le label de musique Mirare avec mon père. Même si la réalisation me demande de plus en plus de temps, je tiens à garder cette activité, qui me permet de prendre une distance par rapport à mon travail de réalisateur. Et surtout, je garde des relations avec des musiciens, je rentre un peu dans leur psychologie. Mon père m’a inculqué ça : la beauté des musiciens.


C’est peut-être quelque chose qui nourrit votre activité de réalisateur ? 

C’est même sûr. J’ai une hypersensibilité à la musique qui m’a été donnée par mon éducation. La première chose que j’ai découverte qui n’était pas de la musique classique, c’est Bad de Michael Jackson – j’avais 11 ans et demi ! Je me suis dit wow, ça existe ! Aujourd’hui, j’adore l’électro, la techno, j’aime beaucoup le rap, j’écoute de tout… Mais mon ADN reste le classique. 


À Nantes, vous filmez chaque année le concert de clôture de La Folle Journée, une des meilleures audiences d’Arte…  

C’est une sacrée chance et c’est un des seuls vrais directs de musique qui existe encore. Il y a cette énergie un peu spéciale qu’offre le direct, avec des accidents. Et je suis un réalisateur qui aime beaucoup les accidents.


C’est paradoxal, vous qui soignez beaucoup la forme dans vos films…  

Il y a un truc que j’adore, c’est oublier que je suis en direct. Et c’est la musique qui le permet. Quand on réalise en direct, on est face à 30 écrans, on a toutes les caméras et plein de voix dans les oreilles. Moi, je mets la musique à fond dans mon casque. J’ai besoin d’être immergé dans la musique. Ça m’est arrivé de pleurer d’émotion pendant un direct…  


Exposition Ravel Boléro, Philharmonie de Paris, jusqu’au 15 juin.

À voir sur arte.fr Ravel en mille éclats ; Gluck : Orphée & Eurydice

À voir sur philharmoniedeparis.fr Quinte et sens


Photo Boléro, extraite du film Ravel en mille éclats © François-René Martin et Gordon
Photo Boléro, extraite du film Ravel en mille éclats © François-René Martin et Gordon

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