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Ionna Vautrin, design au chœur


Binic edited by Foscarini © Massimo Gardone

Texte / Christophe Cesbron * Photos / Jehane Mahmoud Publié dans le magazine Kostar n°87 - octobre-novembre 2023


Posée, malicieuse, développant des projets portant toujours une dimension poétique et réconfortante, la Designer Ionna Vautrin vient de remporter l’appel d’offres pour la conception des 1500 chaises de Notre-Dame-de-Paris. Nous la rencontrons à Nantes, ville où elle a longtemps vécu et vers laquelle elle revient ou presque. Cette année, elle a décidé de s’installer à Pornic.



Une chaise à l'image d'une cathédrale

Pour Notre-Dame-de-Paris, Ionna Vautrin a dessiné une chaise qui semble incroyablement simple, évidente, trouvant une place humble, douce, régulière et mélodieuse dans l’espace de la nef, mêlant rigueur et générosité. Ce qui frappe, quand on la regarde, c’est qu’elle n’est pas autoritaire, raide ou distante mais accueillante, claire, juste. « J’ai voulu privilégier le dialogue avec l’architecture de la cathédrale qui est faite de colonnes, colonnettes, d’un rythme très particulier d’enchaînements d’arches. J’ai retranscrit ces éléments plastiques dans la structure de la chaise constituée de sections cylindriques. C’est une chaise où les barreaux viennent rappeler cette rythmique de l’architecture. D’autre part, j’ai réfléchi à un dossier assez abaissé qui permet de l’utiliser comme prie-dieu, en s’agenouillant par terre et en s’accoudant dessus. Pour la réaliser, je me suis associée avec l’entreprise Bosc située dans les Landes, qui est spécialisée dans la chaiserie de père en fils depuis trois générations. On a proposé cette chaise en chêne massif. Elle est fabriquée en France, avec un bois français. Le chêne rappelle la forêt, la charpente de Notre-Dame. Elle devient presque une sculpture, cette petite chaise. Son dossier abaissé permet de créer, dans la nef, un horizon plat, très silencieux, soulignant la verticalité, la hauteur de l’architecture. Dans mon travail, j’ai plutôt tendance à m’orienter vers des formes arrondies, chaleureuses. Naturellement je suis allée dans cette direction. Et cette cathédrale a vraiment beaucoup de douceur et d’arrondis. Je voulais retranscrire cela. J’aime l’idée qu’elle accueille le public, tout autant que le pratiquant, de façon chaleureuse. »


Vers un design raisonné


De plus en plus, Ionna Vautrin pense un design raisonné, qui prend en compte les savoir-faire, les proximités, les conditions de travail. Le projet «Smala», conçu avec l’Atelier-école Emmaüs à partir de chutes de bois industriel, en est un bel exemple.

« J’ai fait mes études à l’Ecole de Design à Nantes. C’était il y a un peu plus de 20 ans. Quand je suis sortie de l’école, dessiner un pot de yaourt pour Danone, c’était presque une consécration. Aujourd’hui, je trouve bien plus intéressant de travailler avec des artisans qui ont des savoir-faire. (Bosc est labellisée entreprise du patrimoine vivant). J’aime travailler main dans la main avec un artisan. Pour Notre-Dame, il s’agit de produire une série de 1500 chaises en un an (c’est un beau défi). C’est du design industriel, sans être pour autant une production vertigineuse. On réfléchit à la provenance, comment c’est produit, par qui c’est produit, avec quel matériau et dans quelles conditions de travail. On n’avait pas forcément ces considérations là, dans les années 2000 où il fallait avant tout produire, montrer, diffuser. C’était ça le plus important, et peu importait le reste. La question d’une dimension raisonnée devient maintenant incontournable. Cette chaise est la chaise de Notre-Dame et la production ne dépassera pas les 1500 pièces. Elle ne sera pas destinée à un usage domestique. Le design doit s’interroger sur son sens, doit prendre en compte cette dimension raisonnée, même si ce n’est pas forcément simple dans un contexte économique tendu où il faut être sans arrêt en croissance et toujours faire plus. »


De fil en aiguille


Le parcours professionnel de Ionna Vautrin commence à Nantes, à l’Ecole de Design où elle fait ses études. Dès sa sortie, elle est tout de suite embauchée par Camper à Majorque. « Je suis en partie originaire de cette île. Je m’y suis beaucoup plu. Mais au bout d’un an, je me suis demandé si j’allais faire de la chaussure toute ma vie alors que j’avais envie d’explorer plein d’autres choses. » Elle part en Italie, travaille avec George Sowden, puis à Paris avec les frères Bouroullec. « Parallèlement à toutes ces expériences, le soir et les week-ends, je me consacrais à mes propres projets. J’ai été contactée par Foscarini, une marque italienne qui fait du luminaire en verre. Ils m’ont demandé de dessiner une lampe pas chère, entrée de gamme. J’ai dessiné «Binic», objet lumineux qui ressemble à un petit manche à air (comme on en voit sur les bateaux ». Cette lampe a connu un beau succès. Grâce à elle, Ionna Vautrin remporte le grand prix de la mairie de Paris en 2011. C’est également cette petite lampe qui attire la SNCF qui cherche un designer pour créer les luminaires de ses nouvelles rames TGV. « Le train est sorti en 2017, le projet a demandé 5 ans. C’était complexe, très technique. C’est tout ce que j’aime dans ce métier : dessiner un objet qui va côtoyer des millions de personnes. » La lampe TGV est atypique, discrète et sensuelle, les gens la touchent, comme un petit animal de compagnie. C’est un peu une sculpture, une sculpture fonctionnelle. Comme la chaise de Notre-Dame, c’est un objet qui entre en dialogue avec un espace très particulier.


Questionnements


« En 2020, je me posais plein de questions sur mon métier, sur son sens. En fait, il y a eu un projet qui m’a posé un cas de conscience, c’est « Nest » pour Monoprix. J’ai adoré faire ce projet. Monoprix offre aux designers l’opportunité de rencontrer un large public. Et moi, ça m’intéresse de faire un design plus populaire qui reste cependant surprenant. Je viens de là, et c’est pour moi important de dialoguer avec les gens qui ne sont pas forcément connaisseurs. Par contre, rien n’était fabriqué en Europe. C’est un projet qui a demandé deux ans de travail pour une présence de deux semaines en magasin. C’était aussi génial que fou à faire mais ça paraît insensé de consacrer deux ans de sa vie à dessiner des pièces qui vont être aussi éphémères. C’est ce consumérisme qui interroge. »

« Je me suis questionnée sur ce que j’avais envie de faire, c’était sans doute la crise de la quarantaine. Est-ce que j’avais encore envie de pratiquer mon métier de cette manière ? Donc je me suis inscrite à ce CAP tournage en céramique que j’ai passé à Montreuil dans un centre de formation dédié aux adultes. »

Quels seront les nouveaux projets de Ionna Vautrin ? Difficile à dire. À coup sûr, ils seront mûrement raisonnés, réfléchis, en lien avec le territoire, avec les savoir-faire artisanaux, les contextes. Ils auront cette fraîcheur, cette douceur, cet humour et cette poésie très particulières qui la caractérisent.



Nude designed for Nuori © Wallpaper*

Lampe TGV / train edited by SNCF © Michel Giesbrecht

Nest edited by Monoprix © Michel Giesbrecht

Donges edited by Industreal © Ionna Vautrin & Guillaume Delvigne Bec edited by Bosa © Michel Giesbrecht

Chaise Notre-Dame-de-Paris © Ionna Vautrin

Forêt illuminée edited by Super-ette © Felipe Ribon

Jeannette & Jacquette edited by Industreal © Ilvio Gallo


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