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Jean-Charles de Castelbajac, la mémoire dans la peau


Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Pierre & Florent Publié dans le magazine Kostar n°45 - avril-mai 2015


Il aura suffi d’un texto envoyé un soir par Jean-Charles de Castelbajac pour que la rencontre puisse se faire. Le lendemain matin, pendant près d’une heure, le créateur de mode multipliera les aller-retours entre hier et demain, entre une vie riche d’expériences et un futur qu’il sent avant tout le monde. Rencontre avec un homme de son temps.

Pourquoi vous retrouve-t-on cette année à l’affiche d’Art Rock ?

La genèse de mon histoire avec Art Rock, c’est mon amour du spectacle vivant. En 2011, à l’invitation de Didier Fusillier, directeur de la Maison des arts et de la culture de Créteil, je monte Ceremony, un spectacle dont la bande-son est jouée en live par Nouvelle Vague. On donne deux représentations. L’impact est retentissant. Cette aventure me fascine car elle va à l’encontre de la démarche très fragmentaire d’un défilé. Fantômes, qui marie musique, mode et création graphique en direct, est une suite logique de ce travail.


Pourquoi vos “fantômes” s’écrivent-ils au pluriel ?

Je crois en la mémoire des murs. Les villes ne sont pas uniquement habitées par ceux qui y vivent au quotidien, mais aussi pas des personnages vivant en parallèle.


Avec cette performance, vous dîtes « ne pas vouloir donner du glamour, mais du trouble »

Je porte le même regard sur la mode qui, aujourd’hui, est très liée à la consommation. On ne parle plus de mode, mais de vêtements. J’aime l’idée d’une émotion émanant de quelque chose que l’on ne comprend pas forcément. Avec Fantômes, je suis allé chercher quelque chose d’oublié. Enfant, j’ai passé mes étés à Saint-Gildas de Rhuys. À la sortie de la messe, on pouvait entendre dès fois le bagad de Lann-Bihoué. Je me souviens de mon parrain, grand reporter au Monde, qui me disait que lorsque l’on écoute cette musique, on a l’impression que les siècles passés et les histoires oubliées reviennent à nous.


“Au quotidien, j’essaie de ne vivre que des premières fois.”

Fantômes, c’est aussi un défilé. Pourquoi faites-vous appel à des gens de la rue plutôt qu’à des mannequins professionnels ?

Pour retrouver une sensation qui relève de la première fois. Il n’y a rien de plus troublant que les cinq minutes précédant un défilé. Et lorsqu’il n’est pas fait par des professionnels, c’est magique.


Êtes-vous nostalgique de cette première fois ?

Non, car au quotidien, j’essaie de ne vivre que des premières fois. Évidemment, je n’oublie pas mes expériences passées. Mais je regarde toujours vers demain avec cette envie de retrouver une première fois. Par exemple, lorsque j’assiste au concert du groupe Presque l’amour, cela me ramène à Elli et Jacno.


Vous dites regarder vers demain. Pensez-vous que votre métier consiste à prédire l’avenir ?

C’est définitivement ça.


Selon vous, « on s’habille en fonction de soi-même, on s’habille comme on le ressent »

En ce qui me concerne, oui. Même si cela est de plus en plus remis en question. Les créateurs forment un peuple à part. Ils sont déjà six mois plus loin. Ils ne sont pas concernés et suffisants car déjà plus là. Il ne faut pas s’étonner que beaucoup de personnes trouvent ainsi la mode futile et méprisable. Et pourtant, malgré tout ça, elle continue de fasciner.


Quelle place pensez-vous occuper au sein de cette tribu ?

Celle du chaman. C’est le surnom que mon petit-fils m’a donné.


“Je suis une marque, mais je démarque.”

Lorsque dernièrement, vous collaborez avec Pataugas ou La Poste pour la Saint-Valentin, le chaman ne se transformerait-il pas en marque ?

Je suis une marque, mais je démarque. Je suis avant tout un artiste. J’ai toujours aimé m’associer à une marque. Si j’avais fait de la musique, il est évident que j’aurais joué dans un groupe. J’aime l’idée d’offrir quelque chose d’onirique au plus grand nombre. J’aime m’approprier les marques pour les révéler. Mes collaborations vont dans ce sens-là.


Comment motivez-vous vos refus ?

Lorsque ce n’est pas en phase avec mon travail de créateur. Car je vois ces collaborations comme un acte de création. À l’image de mes dessins, des groupes que je choisis pour mes défilés, de mes Instagrams…


Justement, pourquoi une telle activité sur les réseaux sociaux ?

J’ai le même rapport aux réseaux sociaux que celui que j’ai pu avoir avec la télévision. Comme plus jeune, elle m’était interdite, je l’ai trouvée mystérieuse. Très tôt, je suis devenu un “TV watcher”. À la différence que sur les réseaux sociaux, je suis à la fois spectateur et acteur.


Lorsque vous postez une photo du groupe Presque l’amour, pensez-vous jouer un rôle de prescripteur ?

J’espère bien que je suis révélateur et prescripteur.


Vous parlez beaucoup de jeunes groupes, mais que pensez-vous d’un jeune créateur comme Jacquemus par exemple ?

J’ai éprouvé le même trouble en le découvrant que lorsque j’ai écouté pour la première fois Rectangle de Jacno. Jacquemus a une vraie vision de la mode. Même s’il a fait ses classes à mes côtés, j’aime beaucoup aussi Hugo Matha. La relève est magnifique.


Au fil de cet entretien, vous avez beaucoup parlé de la notion de trouble…

C’est vrai que je ne peux pas le cacher. Je vois de plus en plus s’installer une dimension triste et maussade. La création a un rôle important à jouer face à ça. Car elle représente l’ultime résistance. Mon ami Malcolm McLaren me demandait pourquoi je continuais. Pour lui, la culture contemporaine se divisait entre l’authenticité et le karaoké. Moi, j’aime bien les deux. Le karaoké a beaucoup de charme, car il est imparfait. Quant à l’authenticité, elle habille ma mémoire. Il faut donc croire que je suis donc le maillon manquant d’une chaîne de narrateurs.


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