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La culture tombe le masque : Katell Hartereau et Léonard Rainis



C’est en 2007 que Katell Hartereau et Léonard Rainis créent Le Pôle, à Lorient. Elle, formée à la Folkwanghochschule sous la direction de Pina Bausch, est interprète en Suède, avant de vouloir aller au-delà. Lui, formé à l’École nationale de danse de l’Opéra de Paris, avant un parcours international prestigieux. Le Pôle explore les questions du corps, du mouvement, de l’individu et du groupe. into-the-wall a marqué le festival de danse Waterproof, au Triangle, à Rennes, début janvier.



Texte / Katell Hartereau et Léonard Rainis * Portrait © L. Rainis / Photo © C. Ablain

Se sentir vivant malgré le chaos

Léonard Rainis

C’est en plein hiver 21 que cette création voit le jour. Après plus ou moins deux ans d’élaboration comme c’est généralement le cas pour ce type de projet, nous sommes fiers de notre équipe. Fiers aussi d’avoir réussi à nous déplacer à l’intérieur d’un processus créatif afin de ne pas reproduire ce que l’on savait déjà faire. Nous avons même pu nous laisser aller à l’idée présomptueuse que nous avions un projet “qui pourrait marcher”. Ce qui veut dire, d’une manière rudimentaire dans la danse contemporaine, un projet qui tourne au moins cinq fois.

Oui, avec le temps, il a bien fallu se soumettre à cet état de fait : la danse ne tourne plus comme avant (avant les années 2000), les séries, par exemple, n’existent quasiment plus. Pourtant, les projets continuent de se multiplier et nous continuons d’y croire. Car nous avons toujours le même plaisir de la rencontre avec les spectateurs.

C’est en plein hiver 21 que cette création voit le jour, devant un public masqué, assis à distance. Ce n’est pas un public normal car les théâtres restent fermés. Ça se passe devant un public “pro”, comme programmateurs. L’ambiance est tenue et le son fort. Dans la salle, hors de question de montrer des signes de corps, de se laisser aller au rythme musical des Pink Floyd. Chacun sa place. Fin du spectacle, applaudissements, mini discussion dans le hall puis tout le monde chez soi. La convivialité, ça sera pour le monde d’après. Une fois le monde parti, c’est dans une des loges du théâtre que l’on refait le point du jour. Une sorte de débriefing à chaud de ce qui vient de se dire concernant le projet. Les conversations ont continué à tourner autour du Covid et des mesures sanitaires et de sécurité. Ce qui a le plus interpellé dans notre proposition, c’est quand le performeur brise le quatrième mur et s’approche du public et que, peut-être, il va toucher l’un d’entre eux. Peut-être. C’est donc principalement de barrières que l’on parle, de savoir si on a le droit ou pas, et si ce projet in fine sera viable ou non. Puis on s’est senti profondément blâmé, réalisant impuissants notre non conformité face à ces règles gouvernementales et autoritaires. Nos désirs primaires et créatifs se heurtent avec les mécanismes de contrôle ambiant. Entre projections, compromis et remaniements, ces désirs deviennent refoulés. C’est en plein hiver 21 que cette création voit le jour mais c’est en plein été prochain qu’elle jouera, assurément (?).


Katell Hartereau

into-the-wall

Dans le mur, avec l’idée du mouvement, de se prendre le mur.

Je suis ressortie de cette création vidée, psychologiquement et physiquement, mon front marqué par une cicatrice car je me suis pris l’arête d’un mur pour de vrai, en milieu de création, en pleine nuit en allant vider ma vessie.

Et j’ai envie de vous parler de ça, de ce besoin de vidanger, d’expulser, de crier, du manque physique, d’un corps prolifique qui respire et émet de l’intranquillité, du chaos, de l’intensité de la vie.

Parce que cet album The Wall des Pink Floyd est une œuvre musicale et littéraire faite de rage, de cacophonie, d’abîme, de trop plein.

Parce que c’est ce que je peux vivre dans mon moi profond.

Parce que notre présent me ramène encore plus intensément à notre humanité, nos murs, nos failles, ce à quoi nous voulons nous attacher ou détacher dans un monde confus, ce monde où l’on se pose la question de ce qui est essentiel.

Peu importe notre statut, notre classe, notre métier, l’essentiel est pour moi ce qu’on partage avec honnêteté, ce qui fait que chaque jour on pose un sens à nos actes.

Qu’est ce qu’on donne au public avec une nouvelle création ?

C’est la question qu’on se pose sur chaque projet du Pôle. L’instinct nous guide, les réponses n’arrivent souvent que pendant la création car tout se joue dans les multitudes d’instants partagés avec l’équipe de création.

into-the-wall transpire ce besoin de se rattacher aux profondeurs de l’âme humaine, de se sentir vivant malgré le chaos, de casser les murs, de casser ce mur entre la figure de l’artiste et la réalité de l’artiste, qui partage le même monde que tout un chacun, avec sa sensibilité essentielle…


into-the-wall, Le Phare, CCN Le Havre Haute Normandie, 6 juillet. Performance 1X1, Danse à tous les étages, Brest, 1er et 2 juin.



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