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La culture tombe le masque : Yvann Alexandre



En découvrant la nouvelle création d’Yvann Alexandre lors d’une représentation professionnelle au Théâtre de Saint-Nazaire, on a compris ce que le public aura manqué. Ce n’est que partie remise pour découvrir une pièce lumineuse du chorégraphe particulièrement inspiré en ces temps de contraintes.


Texte / Yvann Alexandre * Photo © FC Photography / Portrait © FC Photography

Qui sommes-nous empêchés ?

La création Se méfier des eaux qui dorment, relecture d’un lointain « lac des signes » pour huit interprètes, a démarré le 3 mars 2020 à Angers. Nous connaissons la suite.

Le texte d’introduction de l’œuvre démarre par « Qui sommes-nous, empêchés dans un corps d’oiseau sans possibilité d’envol ? ». Le processus que j’avais patiemment construit n’allait pas voir le jour tel que prévu. Puisque tout était soudainement impossible sans notion de temps, j’ai pris conscience que nous devrions chercher sans cesse les chemins pour faire corps commun et faire autrement.

J’ai préféré immédiatement faire le deuil du projet initial et permettre la naissance de l’essentiel. Il y a eu beaucoup de doutes mais pas celui de renoncer. J’ai considéré que chaque jour de répétition, que chaque geste artistique, chaque avancée, étaient des pas gagnés ensemble face à ces nœuds et ce mur sans fin.

Les périodes de travail étaient instables, amplifiant la perception d’un déséquilibre constant. Dans ce contexte, l’équipe de création très importante est devenue problématique, elle a été au contraire l’une des forces vitales par son agilité, sa ressource et sa solidarité. Nous sommes restés concentrés sur la destination : continuer à créer et danser. Jusqu’aux séances professionnelles en janvier 2021 au théâtre de la Cité Internationale à Paris et à la scène nationale de Saint-Nazaire, l’énergie et la détermination qu’il a fallu convoquer ont été monstrueuses.

Le plus complexe a été de ne pas pouvoir travailler majoritairement avec le groupe au complet et de devoir penser les partitions et les trajectoires plus que de les voir vivre physiquement devant soi. L’obligation de cette carte mentale était souvent vertigineuse mais également inspirante par l’espace qui s’imposait à nous. Je sentais le temps qui filait et je vivais l’obligation de choix constants, parfois radicaux et de manière de plus en plus resserrée. Devoir choisir n’était pas un poids mais plutôt un ressort. Ne pas savoir pour quelle échéance on crée, ou même si cela sera possible a permis de savourer chaque jour avec élan et d’alléger nos épaules. J’aimais rappeler en studio que nous devions accueillir chaque événement. Étrangement, être uniquement sur l’essentiel a été libérateur. J’ai ressenti la possibilité dans la création de m’affranchir et c’est un sentiment nouveau pour moi et encore un peu obscur dans ces retentissements. C’est bien cet affranchissement qui a été le fil de la création et de l’imaginaire. Se méfier des eaux qui dorment porte cette conviction et cette force en son corps.

Le rôle des partenaires, les CCN de Nantes et d’Angers, les directeurs de théâtre et leurs équipes, ont porté à nos côtés cette aventure humaine et artistique. Nous ne nous sommes jamais sentis seuls, ils ont été au rendez-vous et, je l'espère, nous à leurs côtés. Nous étions reliés et dans le même inconnu.

Cette année qui s’écoule nous a appris beaucoup sur nous, j’ai appris beaucoup sur moi et sur le chemin de mon geste. J’ai la sensation profonde que cette création ouvre un vaste champ des possibles dans mon écriture ainsi que pour la compagnie. J’ai hâte que la pièce soit en tournée à partir de janvier 2022. Au fil de l’année écoulée, quand les théâtres sont encore fermés et que les masques font barrière, nous avons appris une forme de patience, celle de penser le loin en étant proches.


Se méfier des eaux qui dorment, Cie Yvann Alexandre. Onyx, Saint-Herblain, 20 janvier 2022 ; Le Théâtre, Saint-Nazaire, 25 janvier ; Le Théâtre, Laval, 3 février ; THV, Saint-Barthélémy d’Anjou, 1er mars ; Collégiale Saint-Martin, Angers, 7 avril, Scènes de Pays, Beaupréau-en-Mauges, 26 avril…



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