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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 51


Photo / Pierrick Sorin * Modèle / Arzu Dogan * Photomontage / Charlie Mars Publié dans le magazine Kostar n°51 - été 2016

Dans le précédent numéro de ce magazine, j’ai commencé à raconter l’histoire d’Eric Gortz, créateur de sculptures animées en proie à quelques désagréments… Résumé : Gortz, après avoir connu un certain succès, est en butte à un net désintérêt de la part du monde de l’art. Sa compagne, la belle Mirzhaïa, le quitte. L’artiste sombre dans le désespoir mais trouve toutefois la force d’installer chez lui un dispositif permettant de faire apparaître la jeune femme sous forme d’un hologramme. Suite : Gortz eut ainsi la satisfaction d’avoir réalisé un dispositif optique bien ficelé mais la présence virtuelle de son ex-amante ne calma en rien sa douleur. L’embellie vint d’ailleurs. Un appel de l’ambassade de France à Pékin. On lui proposait une grande exposition au Kylin Art Center. Un homme que Gortz connaissait et qui venait ni plus ni moins d’être nommé ministre des Affaires étrangères, était derrière ce projet. Au prix d’un bel effort, l’artiste parvint à mener l’affaire à bien.

L’exposition fut une réussite, mais, surtout, il se produisit une chose dont Gortz n’aurait jamais osé rêver. Une riche collectionneuse de Shanghai, propriétaire d’une entreprise spécialisée dans la robotique et l’intelligence artificielle, s’enticha de son œuvre au point de vouloir acquérir toutes les pièces de l’exposition. L’achat représentait une somme conséquente. Gortz lui proposa un petit arrangement : qu’elle fasse réaliser par ses équipes un double robotique de Mirzhaïa et toutes les œuvres seraient à elle.

“Effectivement, ça peut être la base d'un scénario de film à deux balles.”

Huit mois plus tard, un transporteur d’art livra au domicile de l’artiste une caisse de belle facture. Gortz fut stupéfait devant le réalisme de sa femme-robot : la reproduction de sa voix n’était certes pas tout à fait fidèle et ses mouvements présentaient un léger manque de fluidité, mais pour le reste, c’était parfait. Plus que parfait, même, car Gortz avait pris soin de faire augmenter l’original de certaines fonctions ou qualités à la fois utiles et agréables. La nouvelle “Mirzha” était une excellente musicienne, elle parlait une dizaine de langues… Gortz reprit goût à la vie auprès de cet “être” qui avait l’avantage de ne contrarier aucun de ses désirs… Un jour, la véritable Mirzha, qui avait gardé une clef de la maison de l’artiste, vint chez lui, en son absence, afin de récupérer une boîte à bijoux.

Avec une indicible stupeur, la jeune femme découvrit son double qui, ses batteries déchargées, gisait inerte dans sa caisse de transport… Le choc passé et après avoir considéré Gortz comme un exécrable pervers, elle fut sensible à ce qui, au fond, pouvait être compris comme la preuve d’un attachement maladif à son égard. Elle revint vivre auprès de son ex-amant. S’ensuivit une heureuse période de vie à trois dans laquelle la femme-robot tenait lieu de dame de compagnie et d’assistante ménagère. Le bonheur fut toutefois de courte durée. Mirzaïha était flattée par l’image méliorative d’elle-même que lui renvoyait le robot. Elle en tomba amoureuse et pris le large avec son amie-miroir… Gortz fut terrassé. Il broya dans un pot de tarama tous les médicaments les plus nocifs qu’il put trouver, avala l’infâme mixture et s’allongea dans la jolie caisse de transport en ayant tant bien que mal refermé le couvercle sur lui… Bon… Effectivement, ça peut être la base d’un scénario de film à deux balles.

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