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Sibylle Sellam et Grégoire Foucher, retour aux sources


Interview patrick thibault * Photos Yann Peucat pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°69 - février-mars 2020

Débarquant de Paris, Sibylle Sellam et Grégoire Foucher ont créé à Rennes le restaurant Bercail qui a vite fait le buzz. À l’heure où ils s’apprêtent à reprendre – en plus – L’Arsouille, l’occasion était belle pour faire le point sur leur démarche. Puisqu’ils sont quasiment toujours d’accord, l’un commençant une phrase et l’autre la terminant, ou inversement, les réponses sont (sauf notification) attribuées au duo de chefs.

Quel a été votre parcours ?

Sibylle : après un bac S, je suis allé à l’école Ferrandi, j’ai travaillé dans des étoilés mais j’en ai vite eu ras le bol des étoiles. Je me suis rendu compte qu’on pouvait avoir les mêmes produits et la même exigence avec des codes moins contraignants. Après six mois en Asie avec Grégoire, on a fait l’ouverture de Gros dans le 1O e. Un an plus tard, on s’est dit que si ça marchait chez les autres, ça marcherait chez nous aussi.

Grégoire : bac S, école Ferrandi aussi avec un an de pâtisserie. J’ai eu le ras le bol des étoilés au même moment. Gros, puis Bercail !


Un duo de chefs, ça n’est pas commun, comment fait-on pour que ça fonctionne ?

Nous nous sommes construits ensemble et nous sommes complémentaires. Pour nous, c’est un plus quand beaucoup de chefs se sentent seuls. C’est un ping-pong : on est à la fois chef et second. On a le droit de ne pas être d’accord mais nous avons la même vision. Nous savons exactement où nous voulons aller, parfois par des chemins différents. Pour Bercail, il y a trois postes en cuisine, sans chef ni second. Juste le chaud, la pâtisserie et le garde-manger. On tourne et on fait tous la plonge !


À l’ouverture, vous avez revendiqué l’appellation restaurant bistronomique, Bercail c’est donc un restaurant qui tient du bistrot ?

Ça n’est pas un bistrot mais on peut boire du bon vin. C’est un point important car nous essayons de ne pas mettre de côté une part du métier. On ne peut pas nourrir les gens de façon saine et leur fournir du Roundup en bouteille ! Nous sommes clairement un restaurant avec un menu quasi à l’aveugle le soir. Les gens viennent habillés, ou en tongues. Chacun s’approprie le lieu à sa manière : ça dépend de son éducation culinaire et de sa bourse.


Votre premier souvenir en cuisine ?

Sibylle : j’ai eu la chance de manger chez Régis Marcon en 2001. J’avais 11 ans pour mon premier 2 étoiles. J’ai fait un stage de 4 e dans un bistrot du 13 e à Paris. J’avais dressé une entrée sur un plateau et je me souviens de ma fierté lorsqu’elle est partie en salle.

Grégoire : ma grand-mère et ma mère cuisinent très bien et elles m’ont clairement donné le goût de la cuisine. J’ai hésité entre médecine et cuisine mais après un stage chez Olivier Roellinger, j’ai décidé que je n’irai pas en médecine.


Comment définissez-vous votre cuisine ?

Elle est durable car on essaie de la faire écologiquement. C’est très important pour nous d’avoir une démarche respectueuse de l’environnement à tous les niveaux. C’est une cuisine saine et vivante. Gourmande mais vivante et à 95% locale le soir.

“C'est très important pour nous d'avoir une démarche respectueuse de l'environnement à tous les niveaux.”

Vous revendiquez l’appellation locavores, mais jusqu’où ?

On s’éloigne un peu pour les agrumes mais on reste en France, un peu en Italie pour les noisettes mais, chaque fois que c’est possible, on s’approvisionne au plus près. On ne va pas être des fachos du local. S’il y avait des produits lointains qui se conservaient par un transport en bateau, on ne se l’interdirait pas. Mais dans les faits, la réalité est différente. Quand on a mangé des bananes sur le lieu de production, on sait qu’il ne faut pas en faire venir ! Les épices, c’est uniquement le midi, et pour le soir, on cueille nous-mêmes !


Au quotidien, ça se traduit comment une cuisine écologique ?

On envisage l’angle de l’environnement à tous les niveaux. On s’approvisionne localement, essentiellement en bio. On prend des poissons de ligne, on achète un demi cochon pour ne pas prendre que de l’échine. On fait notre compost, on utilise des produits d’entretien écologiques. On est inscrit à un groupe de l’ADEME qui réunit 20 restaurants bretons pour travailler sur l’excellence environnementale. On est là pour faire plaisir mais avec le minimum d’impact possible sur l’environnement.


Revenons en cuisine, avec quels types de plats et quelles saveurs ?

On explore pas mal de méthodes sur une saison et on associe peu de goûts ensemble. Nous sommes là pour transformer le produit mais pas pour le dégrader. On évolue aussi au contact des chefs chez qui on a mangé. On s’est rendu compte qu’on peut simplifier les choses sans que ça soit moins bon. On a apporté un peu d’intelligence avec nos fermentations. Ça permet un peu de tomates le soir, un peu de cassis aussi. On fait notre sauce poisson, la sauce soja et nos vinaigres.


Vous avez passé six mois en Asie, qu’en reste-t-il dans votre cuisine ?

Les techniques avec les textures et les goûts. Un penchant pour l’amertume et le piment. Nous aimons habituer les gens à manger plus pimenté. L’Asie est incroyable pour la cuisine car il y a une histoire derrière tout. La cuisine chinoise est une des plus anciennes et des plus riches. À nous de trouver comment ces techniques-là peuvent s’appliquer à nos produits puisqu’il n’est pas question d’en faire venir de si loin. Néanmoins, on trouve des katsuobushi à Concarneau et une production artisanale de miso en Touraine.

“L'envie, c'est de montrer qu'on peut manger correctement sans être dans un gastro.”

Êtes-vous d’abord poisson, viande ou légumes ?

Clairement légumes. Il nous faut d’ailleurs travailler à faire plus de place aux légumes pour diminuer le poisson et la viande afin d’en finir avec ce côté obligatoire du poisson ou de la viande.

Grégoire : Si ça n’est pas légumes, ça sera poisson.

Sibylle : la mer est une ressource fragile. n Grégoire : Sauf pour les coquillages.


Sucré ou salé ?

Salé ! Les plus grosses claques en cuisine, c’est dans le salé. La cuisine est vraiment plus vivante dans le salé.


Pourquoi reprendre L’Arsouille ?

Il faut savoir qu’un lieu s’est offert à nous il y a un an. Pierre Lucas travaillait avec nous. On a donc pensé qu’avec Caroline Lenormand, ils pouvaient reprendre le deuxième lieu. L’envie, c’est de montrer qu’on peut manger correctement sans être dans un gastro. Les produits devraient être bons tout le temps. On voulait même avoir une boulangerie. C’est tombé à l’eau alors qu’on s’y voyait déjà. Kris voulait vendre L’Arsouille depuis longtemps, c’est un ami. On s’est décidé.


L’Arsouille va donc devenir Pénates, à quoi est-ce que ça va ressembler ?

On a voulu un grand comptoir à gauche. On a doublé sa capacité. On ouvrira à partir de 17h30, ça sera le café qui accueille les parents à la sortie des écoles pour un café ou un thé. Caroline a travaillé au Café des Feuilles, l’ambiance salon de thé, elle connaît. On glissera ensuite vers l’apéro. L’idée, c’est d’avoir des assiettes à partager, des plats que la cuisine envoie à son rythme. Ce côté foisonnant doit permettre de faire goûter plus de plats pour sortir du traditionnel entrée-plat-dessert !


Vous êtes arrivés de Paris, comment avez-vous été accueillis à Rennes ?

Plutôt bien. On ne pouvait pas imaginer mieux. Mais nous ne sommes pas arrivés en mode concurrence. On a fait les choses à notre façon, selon nos envies. On s’est tout de suite entendu avec ceux qui ont la même éthique des produits.


Qu’avez-vous à apporter à Rennes ?

On ne sait pas si on apporte. Du vin nature ! Avec Pénates, on va essayer de perpétuer la cave de L’Arsouille. Si on apporte du plaisir à nos clients, ça nous va bien. Et si on peut aider d’autres gens à ouvrir des lieux cools, communiquer sur le travail des producteurs, il ne faut pas s’en priver. Il faut rendre banal le restaurant durable. On partira peut-être un jour pour ne plus être en ville. On adore la ville mais quand on veut être au plus près des producteurs, l’étape suivante, c’est la campagne.


N’avez-vous pas l’impression d’être entrés en cuisine au bon moment ?

Si, tout à fait. On n’a pas choisi la cuisine parce qu’on n’était pas bon. Le métier devient moins bêta même s’il y a le revers Top Chef qui n’est pas toujours le meilleur argument pour choisir la cuisine. L’important, c’est de partager des choses essentielles et montrer aux gens qu’on peut bien manger. Les cuisiniers ont eu leur heure de gloire, ça serait cool de mettre la lumière sur les producteurs !


Avec le buzz, n’êtes-vous pas le symbole du restaurant bobo ?

Mais on ne voulait pas du buzz car un restaurant qui fait le buzz ne dure pas toujours. Je crois qu’on l’a eu parce qu’on s’est installés en même temps que Virginie Giboire et Julien Lemarié. On aime bien les bobos, nous. Ce sont des gens qui s’intéressent à plein de choses. Il n’y a pas que des bobeaufs. Côté tarifs, on essaie d’être accessibles à tous. La clientèle du midi est assez diverse.


Savez-vous résister à la mode ?

Nous sommes deux, donc moins influençables mais peut-être qu’on est à la mode. La cuisine est toujours influencée. On est ancré dans notre époque, on n’invente rien non plus. Jérôme Jouadé de La Table des Pères, Hervé et Catherine Bourdon du petit Hôtel du Grand large nous mettent régulièrement une claque sur la question du retour au terroir. Si la mode, c’est écolo et faire marcher le local, soyons à la mode !


Bercail, 33 rue Saint-Melaine, Rennes.

Pénates, 17 rue Paul Bert, Rennes. Ouverture en février.






Menu


Bouillon dashi pimenté / tomates vertes fermentées / oignons nouveaux-cébette

Rouget de ligne / fenouil braisé / jus d’arête lié au foie de rouget / purée de piments calabrais

Gyozas au chou fermenté / sauce soja / ail piment coriandre

Cromesquis de courge / pickles d’algues / confit d’algues Kombu

Tourte aux pommes et sarrasin / sorbet cerfeuil

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