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Véronique Gens : Plein chant



Interview / Patrick Thibault * Photo / Franck Juery Publié dans le magazine Kostar n°78 - décembre 2021-janvier 2022


Les scènes du monde entier se la disputent. Après des années heureuses consacrées à la scène baroque, Véronique Gens est aujourd’hui considérée comme l’une des meilleures interprètes de Mozart. Entre deux rôles, la soprano star revient chez elle à Nantes. Et toujours pas question de jouer les divas. On la retrouve ainsi deux fois en concert avec l’ONPL.



Parlez-nous de La Calisto qui vous retient à la Scala, au moment où on se parle…

C’est un spectacle magnifique et une gageure, un risque que prend Dominique Meyer, le nouveau directeur, puisqu’il n’y a jamais eu de musique baroque dans ce théâtre. Avec, en plus, des instruments anciens dans la fosse ! Il voulait programmer ça dès son arrivée à Milan car on y trouve les racines des musiques de Bellini, Rossini ou Verdi. Ça lui paraissait indispensable.


Quel est l’accueil du public ?

On nous avait annoncé des sifflets et c’est mieux accueilli que certaines productions de Tosca ou Falstaff. Je crois que les gens ont été scotchés. Ils pensaient qu’il y avait quinze chanteurs internationaux et ils n’en connaissaient pas d‘autres. D’un coup, on leur en amène dix qu’ils ne connaissent pas. On avait tellement besoin de chanter à nouveau face à un public. Ça fait beaucoup de bien.


Pour vous qui avez joué sur les scènes du monde entier, la Scala, c’est à part…

Oui, je crois. Il y a un tel poids de l’Histoire. Tous les grands chanteurs sont passés par là. Il y a trois endroits au monde qui me font cet effet-là : La Scala, l’Opéra de Vienne et Glyndebourne. En plus, ici, les murs sont tapissés de tous ces grands, ça n’est pas du genre à vous rassurer. On ne ressent pas ce poids de la tradition à Garnier. Ça vous met face à vos responsabilités. C’est un petit stress supplémentaire mais aussi une chance, un honneur. Dans ma loge, j’ai le portrait de Mirella Freni.


Ça pourrait vous inciter à jouer les divas…

Quelle horreur ! C’est tellement has been. En plus, on n’a plus les moyens de jouer les divas, il y a beaucoup trop de grands chanteurs. Être capricieuse, faire toute une histoire pour rien, non, le temps des divas est révolu. Et tant mieux, non, vous ne trouvez pas ?


Ça faisait des histoires à raconter…

C’était un autre contexte. La diva, on l’imagine avec son boa, des gens qui portent ses valises. Ça me fait rire, c’est vraiment une espèce en voie de disparition.

“Le temps des divas est révolu.”

À un tel niveau de carrière, qu’est-ce qui est le plus important, la maison d’opéra, le metteur en scène, l’orchestre… ?

C’est l’environnement humain. Quand vous vous sentez bien entourée et aimée, ça va tout de suite mieux. Dès les premières répétitions, avec un nouveau chef ou un nouveau metteur en scène, on sent si ça va bien se passer. J’en ai vu des vertes et des pas mûres, des chefs odieux, des chanteurs imbuvables, et ça gâche tout. Il ne faut pas oublier qu’on fait ça pour donner du plaisir. J’en ai soupé des pénibles.


Pouvez-vous nous en dire davantage sur le concert du nouvel an que vous donnerez à Nantes et Angers, avec l’ONPL, sous la direction d’Hervé Niquet ?

Je ne suis pas autorisée à vous en parler car c’est censé être une surprise. Je peux vous dire que ça sera très festif, avec des trucs rigolos, des Lehár, des Offenbach… Quand on a Hervé Niquet à la baguette, on n’a pas à s’inquiéter. On sait qu’il amènera de la bonne humeur, fera l’andouille s’il le faut et que ça sera un concert différent. C’est un gage de bonne ambiance, un grand feu d’artifice.


Vous retrouverez l’ONPL une seconde fois dans la saison. Que représentent pour vous Les Nuits d’été de Berlioz ?

Ça fait partie des œuvres que j’ai chantées à tous les stades de ma carrière. Avec des chefs et musiciens différents et ce ne sont pas toujours de bons souvenirs. C’est emblématique de la musique française, une œuvre que j’adore. Elle est de celles dont j’ai envie d’être l’ambassadrice. C’est éprouvant physiquement parce que c’est long, lourd, triste, chargé mais, à la fin, on entrevoit enfin plus de lumière et une légèreté. J’ai chanté Les Nuits d’été à La Folle Journée Berlioz mais je chante moins à Nantes depuis que j’y habite.

“Je ne suis pas du genre à la ramener.”

Nantes n’est-elle pas maintenant une ville qui a un trop petit opéra pour vous ?

C’est la vie mais j’ai eu un plaisir immense à donner des concerts à Graslin. J’y retourne régulièrement pour écouter des copains. J’ai pris mes places pour La Clémence de Titus en décembre.


Pourquoi vous être installée à Nantes ?

Je travaillais toujours à l’étranger. À la naissance de ma fille, on a décidé de quitter Paris qui n’avait que des inconvénients. Je ne suis pas Nantaise mais originaire des montagnes, disons des vaches et des fromages. À Nantes, on a une qualité de vie appréciable et la proximité de la mer. On peut s’y échapper facilement le week-end. Mon deuxième enfant est né à Nantes. Quand j’étais loin, j’étais rassurée de savoir que ma famille était bien à Nantes. Je trouve que tout y est plus facile. Maintenant qu’ils sont grands, la vie parisienne me manque.


Peu de Nantais savent que vous vivez à Nantes…

Ça ne m’étonne pas parce que je ne suis pas du genre à la ramener. À Nantes, je suis très anonyme et c’est agréable. À l’école, les parents des copains de mes enfants n’avaient aucune idée de ce qu’était ma vie.


La pression vous la mettez où ?

Directement dans mon estomac ! Chacun fait ce qu’il peut avec ça et vit avec le moins mal possible. Ça ne m’a jamais quittée, c’est une question de nature. Même pour le concert festif du nouvel an, j’aurai cette peur. C’est ce qui me fait avancer. Si j’étais trop cool, peut-être que je n’en serais pas là. Je me mets un peu la rate au cour bouillon mais je n’ai pas envie de décevoir le public. Rassurez-vous, j’y trouve aussi du plaisir.

“Le chant, c'est en vous, ça ne vous quitte jamais.”

Est-ce qu’il y a une place pour autre chose que le chant dans votre vie ?

Le chant est mon métier. C’est une passion mais ça n’est pas ma vie. Avant la pandémie, je disais que je pourrais arrêter de chanter. Il faut que j’arrête de le dire parce que j’ai très mal vécu d’y être obligée l’an passé. Le chant, c’est en vous, ça ne vous quitte jamais. Ma vie et ma voix, j’essaie de les séparer. Avec ma famille, je ne suis plus une chanteuse et ça c’est clair depuis longtemps.


Vous venez du baroque et vous y retournez régulièrement, comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?

Honnêtement, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Je me suis toujours laissé porter par ce qu’on me proposait. J’ai voulu faire confiance aux gens que je rencontrais. À partir du moment où ils tenaient à moi, j’ai pris les choses comme elles venaient. La constante, c’est la musique française, qu’elle soit baroque, romantique ou d’époques plus tardives avec les mélodies, les choses plus légères, l’opérette. Après avoir fait pleurer le monde entier avec mes tragédies lyriques, ça me fait beaucoup de bien à moi aussi.


C’est parfois le grand écart…

Pas tant que ça car il n’y a qu’une façon de chanter. Que ce soit du baroque, Mozart ou autre chose, je chante avec la même voix.


Dans le baroque, vous étiez plus entourée, en troupe…

L’environnement est différent. Mes 10-15 ans aux Arts Florissants, c’était une période bénie. Je n’étais jamais seule et je me sentais très entourée. Avec Malgoire, Kuijken, Herreweghe ou Christie, c’était souvent les mêmes chanteurs. Quand je suis partie faire mes preuves, j’ai eu besoin de montrer que j’étais capable de chanter autre chose que de la musique ancienne. Il a fallu que j’aille à l’étranger pour ça.

“Je n'ai jamais eu de plan de carrière.”

Vous considérez vraiment que la France a été ingrate ?

Ah oui. La France m’avait vu grandir, j’avais à peine 20 ans quand j’ai commencé. Dans la tête de beaucoup de directeurs d’opéras, j’étais la petite chanteuse baroque incapable de faire autre chose. Quand j’ai chanté Mozart, ça a changé. J’ai été très en colère contre un tas de gens mais ça m’a aussi été profitable, j’ai appris tellement de choses. Ça a été dur ces années à assumer des prises de grands rôles mozartiens à Dresde ou Baden Baden. J’étais bien seule, j’en voulais à Paris mais c’était un mal pour un bien.


Ces difficultés vous ont elles incité à vous investir dans la transmission ?

Sans doute. Ce mur était tellement difficile à vivre, les étiquettes en France, ça commence juste à tomber. J’ai toujours eu envie d’expliquer aux plus jeunes qu’il faut qu’ils gardent leur personnalité et leur identité vocale, qu’ils ne fassent pas comme untel, ou comme on leur a dit. Il ne faut jamais renier ce qu’on est et d’où on vient. Il faut toujours essayer de l’assumer même si c’est difficile.


Soirées surprises et vocalistes avec la soprano Véronique Gens, concert du Nouvel an de l’ONPL, direction Hervé Niquet, les 30 et 31 décembre à Nantes, les 1er et 2 janvier à Angers.


Les Nuits d’été, ONPL, direction Antoni Wit, les 13 et 15 mars à Angers, les 16 et 17 mars à Nantes.



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