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Ambra Senatore, un certain regard


Interview / Patrick Thibault * Photo / CCNN Publié dans le magazine Kostar n°52 - octobre-novembre 2016


Elle succède à Claude Brumachon et Benjamin Lamarche à la tête du Centre Chorégraphique National de Nantes. Ambra Senatore arrive d’Italie avec sa danse. Rencontre.

Quand a commencé, pour vous, cette envie de “faire danse” ? Votre première émotion face à la danse ?

J’avais 5 ans, on habitait dans une grande maison à plusieurs familles dans le but d’avoir un grand jardin pour les enfants. Une femme allemande m’a proposé de faire de la danse et c’était parti.


La danse est traversée de courants. Vous êtes née à Turin. Y a-t-il une sensibilité méditerranéenne dans votre travail ?

J’imagine que oui puisqu’on est tous influencés par ce qu’on a vécu et ce qu’on vit. Il paraît qu’il y a un coté italien et méditerranéen qui en ressort. Du désordre et de l’organisation, la balance entre les deux. De l’ironie, on se moque de soi-même et de l’existence. Mes spectacles sont très vivants. On se regarde dans les yeux, il y a une relation directe avec le spectateur comme dans la rue.


Quand on dit Italie, on pense cinéma. On dit que vous auriez aimé faire du cinéma…

Adolescente, j’ai rêvé d’être cinéaste et actrice de cinéma mais je n’ai jamais fait la démarche. J’ai toujours privilégié le théâtre et la danse. Mes spectacles ont un côté cinéma dans l’imaginaire, le traitement de l’image et le montage. Ces références ne sont pas conscientes. Je me retrouve à être proche du cinéma qui, lui aussi, est un art en mouvement.

“Mes spectacles sont très vivants. On se regarde dans les yeux, il y a une relation directe avec le spectateur comme dans la rue.”

Mouvement d’une histoire, mouvement de celles et ceux qui la vivent, mouvement de la caméra. C’est le mouvement le lien entre le cinéma et la danse ?

Je ne suis pas dans le milieu de la danse abstraite. Le mouvement est dans l’action, dans les corps en relation. Mais en phase de création, j’ai presque l’impression d’avoir une caméra et de décider de son mouvement. Depuis 2009, avec les pièces de groupe, je sens cette proximité avec le cinéaste et je vois ce mouvement.


Quels sont les artistes qui vous ont influencé ?

Si on parle de danse, Roberto Castello et Raffaella Giordano. J’ai beaucoup étudié avec les deux. Roberto est peu connu en France mais c’est quelqu’un d’engagé politiquement pour faire rayonner la danse. Mon travail sur les visages vient de là. Je considère que les aspects esthétique et éthique ne peuvent pas ne pas exister ensemble.


Vous évoquez souvent l’importance de l’humain… Vous insistez sur le groupe social. Le “geste dansé”, c’est un geste politique ?

Il faut que ça le soit. Je me sens très responsable de l’argent public dans la mesure où si on crée, c’est parce qu’il y a des gens qui travaillent et qui paient des impôts. Le sens de la culture et du spectacle vivant, c’est trouver des moments où on se retrouve. Parfois, j’aimerais être plus porteuse d’un message politique mais il serait un peu plaqué. J’espère que cette portée un peu humaine, de joie, peut avoir sa petite valeur politique.


On a le sentiment que votre regard et votre proposition sont marqués par vos premières années. Votre regard sur l’enfance ?

Cesare Ronconi, un metteur en scène que j’estime beaucoup, m’a dit un jour : « Ton problème, c’est une enfance trop belle. » C’est vrai que j’ai eu une enfance merveilleuse avec beaucoup d’amour et de liberté. À 6 ans, j’ai dit que ça me rendait triste de devoir quitter l’enfance. Est-ce que le milieu de la danse, avec son côté jeu et joie, ne permet pas de continuer ou de reproduire l’enfance ? On joue beaucoup au sens stricte du mot, avec ou sans règle.


Lorsqu’on évoque votre travail, on parle de danse mais aussi de théâtre. On parle de “faire danser les mots”. Le point de rencontre entre danse et théâtre, c’est la narration ?

Pour moi, c’est le corps qui fait le lien entre la danse, le théâtre et la vie. On peut l’élargir. La narration fait qu’on peut parler d’abstraction en danse. Des chorégraphes ont voulu défendre ça. Le corps raconte toujours son histoire d’être humain. Mais pour moi, le corps ne peut pas être abstrait. Je voudrais ne pas être narrative et j’ai chuté chaque fois en ajoutant des bouts de portraits humains.


“C'est le corps qui fait le lien entre la danse, le théâtre et la vie.”

Quand on suit votre démarche, on a le sentiment que tout peut faire danse… Comment se construit votre création ?

Il est clair qu’absolument tout peut faire danse, que tout le monde peut danser et que la danse est pour tout le monde. Je travaille beaucoup avec ceux qui collaborent avec moi. Ils sont co-auteurs. Je lance des pistes, ouvertes ou fermées. On répond ensemble. J’ai une grande disponibilité pour une réponse possible. Après on discute, on travaille et c’est moi qui tire les fils pour construire une dramaturgie. Ça reste toujours ouvert.


Vous connaissiez peu cette ville, cette région. Quel est votre regard sur Nantes ?

J’ai découvert que Nantes est jumelée avec Turin. Quand je marche, je perçois une cordialité, les gens se regardent dans les yeux, il y a un côté humain.


Qu’allez-vous construire à Nantes ? Allez-vous poursuivre votre démarche hors les murs ?

Je vais continuer à être chorégraphe, soutenir d’autres artistes en les accueillant au studio, faire en sorte que les artistes et les citoyens entrent en contact. Nous avons été nomades très longtemps et j’avais envie de me poser pour travailler sur un territoire dans la durée. La Ville voulait un travail sur le territoire. Je vais travailler en réseau, partager. J’ai quatre ans au moins pour donner du sens à cette démarche. Il y a tant de projets à inventer.


On va découvrir votre travail avec Aringa rossa

C’est une pièce créée fin 2014 dont je rêvais depuis 2009. Disons que c’est la métaphore d’une société. J’avais envie de travailler avec plus de monde. Ça danse beaucoup de manière dynamique. J’ai ouvert une porte vers la dynamique du mouvement.


Pouvez-vous nous parler de Pièces que vous présenterez en décembre ?

Les danseurs m’ont obligé à commencer à écrire tôt. Ça change jusqu’au dernier moment et après la première. Aringa Rossa change encore ! Le titre est un peu banal mais très juste évoquant la pièce de théâtre, la chambre d’un appartement, des éléments du jeu d’échecs. J’ai envie que ça soit léger. C’est assez théâtral, avec beaucoup de paroles traitées de manière chorégraphique.


Aringa Rossa

Pièces

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