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Astrig Siranossian, la voix du violoncelle



Interview / Matthieu Chauveau * Photo / © Bernard Martinez Publié dans le magazine Kostar n°94 - février-mars 2025


Elle a ému la France entière en jouant pour la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. Violoncelliste virtuose ayant accompagné les plus grands (Daniel Barenboim, Martha Argerich…), Astrig Siranossian est à La Folle Journée mais aussi artiste associée de l’Orchestre National de Bretagne. 


Que vous inspirent les villes phares, thématique à l’honneur de La Folle Journée 2025 ?  

Ça rend curieux les musiciens et le public. Ça permet de visiter des villes que l’on connaît ou pas, et à des époques différentes. Je joue, par exemple, un programme autour de Paris, qui nous replonge au début du XX e siècle. Une époque où il y avait une création musicale et artistique incroyable dans cette ville, une vraie liberté de créer, de composer, d’interpréter. À travers la musique, on peut faire passer beaucoup de messages, en douceur… 


Vous vous produisez 6 fois à La Folle Journée, dans des salles de différentes tailles et sous différents formats, en solo, avec orchestre… Qu’est-ce que vous préférez ?  

À partir du moment où je suis interprète, je pars du principe que je dois défendre toutes les œuvres avec la même force. Sinon, cela voudrait dire que je ne prends pas mon métier au sérieux (sourire). J’ai une affection particulière pour les concertos de Haydn mais quand je joue la sonate de Marcelle Soulage ou du Fauré, je trouve que c’est magnifique. En fait, dès que je joue, j’ai l’impression que c’est ma partition préférée ! Il faut toujours que l’auditeur ait l’impression que c’est la plus belle pièce qui existe. 


“Il faut toujours que l'auditeur ait l'impression que c'est la plus belle pièce qui existe”

Vous êtes une habituée, qu’aimez-vous à La Folle Journée ?  

Moi qui vois beaucoup de festivals, je constate que c’est un événement unique au monde. Il faut se rendre compte de la folie de cet événement : les concerts durent seulement 50 minutes et on a l’impression de vivre avec le public, on reconnaît parfois des spectateurs qui vont de salle en salle. Il y a une excitation, une effervescence ! C’est un événement très attendu par le public mais aussi par les musiciens.


Votre actu, c’est aussi le programme Étoiles arméniennes avec l’Orchestre National de Bretagne…  

Ayant des origines arméniennes, j’ai toujours défendu les belles musiques de mon pays d’origine. La musique arménienne est très appréciée du public. Elle touche, raconte une histoire qui traverse les siècles. J’ai une association qui aide les enfants en Arménie et au Liban, ma mère étant une Arménienne née au Liban. C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’inviter un joueur arménien de qanoun (cithare sur table). Le programme est composé de pièces populaires arméniennes et de grands concertos pour violoncelle. 


Ce mélange vous tient particulièrement à cœur… 

Oui, ce qui est important, c’est surtout de créer des ponts entre les musiques. La belle musique, c’est fait pour véhiculer des émotions. On parle souvent de musiciens classiques mais je trouve ça hyper réducteur. Je suis surtout une musicienne qui essaie de faire de belles choses, le mieux possible pour rendre justice à des compositeurs que j’aime, les partager avec le public. Que ce soit de la musique populaire, baroque, classique, romantique, du début XX e…


“Ce qui est important, c'est surtout de créer des ponts entre les musiques.”

Au-delà de vos origines, qu’est-ce qui vous plaît dans la musique arménienne ?  

Il y a son côté patrimoine immatériel qui fait écho à une histoire pas très joyeuse. Mais cette musique fait aussi voyager dans des paysages magnifiques. Elle a une simplicité liée à la musique liturgique arménienne, l’Arménie étant un très vieux pays chrétien. Il y a comme une recherche de vérité dans cette musique, avec beaucoup de tendresse, de douceur, de pudeur. Il peut aussi y avoir un côté festif. Car quand on a souffert dans son Histoire, on connaît la valeur de la vie. 


On dit que le violoncelle est l’instrument le plus proche de la voix humaine… 

C’est vrai. Il a un timbre, une tessiture médium, chaleureuse, qui peut également aller dans les graves et dans les aigus. J’ai aussi l’impression que le violoncelle est un instrument réconfortant, qui est utilisé très souvent par les compositeurs pour cette raison. Plusieurs ont composé des œuvres pour violoncelle après la Première Guerre mondiale, par exemple Edward Elgar et Schumann. Gabriel Fauré a écrit toute sa vie des œuvres pour violoncelle, tout comme Beethoven.




© Antoine Agoudjian
 © Antoine Agoudjian


Est-ce pour cette raison que vous chantez parfois en plus de jouer ?  

À l’origine, c’était pour m’aider dans mon travail. Quand je travaillais un concerto, je chantais les parties orchestrales. Et un jour, j’ai fait l’expérience pendant un concert de chanter des mélodies arméniennes au milieu de suites de Bach. Je pensais me faire lapider et on m’a répondu que c’était surprenant parce qu’on ne distinguait pas vraiment Bach des mélodies traditionnelles. J’ai trouvé ça incroyable : il y a pourtant un grand fossé entre la musique savante de Bach et la musique populaire. J’ai compris qu’il existait des ponts, des liens à trouver entre les répertoires. 


“Être musicienne, c'est quelque part être une éternelle étudiante”

Vous avez 36 ans. Ne faites-vous pas partie d’une génération de musiciens classiques qui aime casser les codes ?  

Ce qui est important, ce n’est pas de casser les codes, mais de partager des œuvres qui correspondent à votre personnalité. Et donc d’être le plus honnête possible vis-à-vis du public. On apprend pendant les études à jouer des pièces mais, après, qu’est-ce qu’on fait ? C’est un peu comme un chef cuisinier. Au bout d’un moment, on ouvre son restaurant et on fait goûter sa cuisine. C’est important de rendre l’acte de programmation vivant. On entend souvent à propos de la musique classique : je n’y connais rien, donc je ne viens pas. Alors que ce n’est pas parce qu’on ne s’y connaît pas en grands vins qu’on va refuser d’en boire ! 


Vous avez commencé le violoncelle à 4 ans, dans la Drôme. Vous jouez aujourd’hui sur les plus grandes scènes du monde. Aviez-vous imaginé un tel parcours ?  

Non mais j’ai travaillé pour. D’ailleurs, à 36 ans, j’ai l’impression de continuer à faire ce que je faisais quand j’avais 4 ans. C’est juste un peu augmenté. Si j’ai continué à faire de la musique, c’est parce que je l’aime profondément. Il m’arrive très souvent, en interprétant un concerto que je joue pourtant depuis 25 ans, de me dire : qu’est-ce que c’est beau, comment un compositeur a pu écrire une telle merveille ? J’ai encore cette fraîcheur que j’essaie de cultiver vis-à-vis de la musique. Être musicienne, c’est quelque part être une éternelle étudiante.

 

La Folle Journée 29 janvier au 2 février, Cité des Congrès, Nantes. Astrig Siranossian : de 1er février à 16h30, 18h15 et 21h15. Le 2 février à 15h30, 17h30 et 19h45.

Étoiles Arméniennes Couvent des Jacobins, Rennes, 27 février. La Passerelle, Saint-Brieuc, 28 février. Centre Culturel Jacques Duhamel, Vitré, 1er mars. Théâtre de Cornouaille, Quimper, 2 mars. Salle Solenval, Plancoët, 5 mars. Palais des Congrès, Pontivy, 6 mars. Théâtre du Champ au Roy, Guingamp, 7 mars. Espace Glenmor, Carhaix-Plouguer, 8 mars.

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