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Bertrand Larcher, l’homme qui souffle sur le Breizh




Interview / Patrick Thibault * Photo / Yann Peucat pour kostar

Photos des plats issues du livre Breizh Café / Crédit photo : Marie Pierre Morel Publié dans le magazine Kostar n°46 - été 2015

Il a fait un malheur en créant des crêperies au Japon. L’aventure Breizh Café s’est bien-sûr prolongée en France. Bertrand Larcher continue allègrement de redorer le blason de la crêperie en tournant le dos à une image ringardisée et en servant de pont entre la Bretagne et le Japon.

Pourquoi avez-vous commencé cette aventure au Japon ?

J’ai suivi ma femme. Et quand on vit à 10.000 kms de chez soi, on a besoin de repères, de retrouver ses racines. J’ai été surpris de constater qu’il n’y avait pas de crêperies. J’ai donc créé un lieu d’échanges, convivial et chaleureux, pour présenter la culture bretonne.


Et ça a marché…

Épicuriens et journalistes savent que le marché japonais est exigent. Il y a une énorme concurrence et il est difficile de pérenniser un commerce. Mais les Japonais ont la culture sarrasin avec le soba. Il fallait s’inspirer et s’imprégner des codes de vie des gens, avoir le souci du détail, de l’esthétique. Ils ont une gastronomie aussi élaborée que la nôtre.


Peut-on dire que si vous n’étiez pas allé au Japon, vous n’auriez pas ouvert de crêperie ?

Probablement pas. C’est cette double culture qui m’a permis de doser. De dépoussiérer l’image.


Pourquoi a-t-on a mis si longtemps à se rendre compte que la crêpe pouvait aussi être gastronomique ?

Pour beaucoup de gens, la galette n’est qu’une vulgaire enveloppe. Alors que c’est le goût et l’odeur. On peut l’associer à tout. Il est important de valoriser cette culture et la transmettre. Avec de bons ingrédients, accompagnée de bons cidres.


Une des clés de votre succès, c’est le respect du produit…

Je suis membre du Slow Food. Je soutiens la filière agri saine. J’ai l’obsession du meilleur produit. C’est pour cette raison que je suis installé à Saint Malo. Et c’est essentiel. Je peux m’en inspirer, créer de nouvelles recettes, travailler au fil des saisons.


“Breizh Café n'est pas forcément une crêperie.”

Savez-vous ce que vos concurrents pensent de vous ?

Non, je ne sais pas. Ils pensent peut être que je suis fou. J’ai le privilège de vivre entre le Japon et la Bretagne, deux continents distancés de 10.000 kms. Je veux modestement servir de pont. J’ai peu d’amis dans ce secteur.


C’est donc l’occasion de savoir ce que vous pensez d’eux ?

Je respecte tout le monde. Je n’ai pas envie de critiquer. Si, un détail m’a toujours attristé : on produit du sarrasin en Bretagne depuis toujours et on utilise des farines importées. Il me semble important de soutenir nos paysans.


Je ne suis pas certain que ça soit la bonne réponse. C’est le moment de réaffirmer vos convictions…

Je suis pour la pérennité des traditions des métiers. Si on veut transmettre, il est important de faire des efforts. La crêperie c’est une cuisine conviviale, pour tous les âges, et tous les niveaux sociaux. Il est dommage qu’on ne puisse pas proposer un diplôme qui soit l’équivalent de celui d’un cuisinier. On y travaille.


À qui s’adresse le Breizh Café ?

On aime les gourmands curieux qui apprécient de voyager avec le cidre. Il faut déjà avoir une certaine culture de la cuisine. On existe depuis bientôt 20 ans. On est devenu une institution, loin de la mode qui est éphémère.


C’est quoi une bonne crêperie ?

Un endroit où on vous présente des produits. La provenance est sur la carte pour tous les ingrédients. C’est un lieu de partage et de plaisir. On y trouve une carte de cidres et des spécialités de saison.


Ça ne serait pas un endroit où on fait les crêpes à la demande puisqu’on dit que beaucoup de crêperies ne font même plus les crêpes ?

Oui mais pour moi, c’est tellement évident. C’est un métier de cuisinier. Les produits frais sont transformés. La galette doit s’imprégner de la matière première. C’est le mélange qui compte. La galette absorbe les saveurs et les goûts. Et elle devient croustillante.


Pourquoi n’y a-t-il pas de label identifié des crêperies ?

Il y a Crêperie gourmande. J’y adhère à Cancale. J’ai été l’un des premiers à être enregistré.


Envisagez-vous d’ouvrir des franchises ?

Tous les mois je suis sollicité. C’est à l’ordre du jour. La difficulté, c’est que j’ai envie de faire des choses différentes en adéquation avec les lieux, les villes et les produits locaux. Breizh café n’est pas forcément une crêperie.


Mais c’est un concept urbain…

Oui. Un concept qui correspond à des gens qui veulent manger simple et bon. Mais nous n’avons pas la prétention d’être les meilleurs. J’aime aussi la crêperie trad'. C’est un peu le folklore mais n’oublions pas qu’il y a une clientèle qui recherche ça. On est capable de faire trad’ et plus moderne. On a la soupe de sarrasin, des rolls, des amuse galettes…


“La crêperie doit vivre sa révolution.”

Comment être à la fois un artisan et un homme d’affaires ?

J’ai toujours donné un sens à mon métier. Je l’ai partagé et renforcé. D’ici deux-trois ans, on aura une ferme. On produira nos sarrasins. On aura nos vergers et nos légumes bio. Je n’oublie pas de passer du temps avec mes amis d’enfance, producteurs et éleveurs. Je suis arrivé à une période où je veux trouver la nouvelle matière première et la partager. Je reviens à mes origines. Je suis fils de paysan et je vais le redevenir.


Avec une ferme, vous allez vous mettre à dos les producteurs ?

Pas du tout. Il y a 300 variétés de pommes, de vraies différences entre les cidres. On va travailler les anciennes variétés de sarrasin. Je pense que c’est important pour mes collaborateurs de toucher la matière première.


Peut-on dire que vous soufflez sur le breizh ?

Je dois contrarier bon nombre de personnes. Je travaille des convictions. Je suis un éternel insatisfait. J’aime décortiquer les choses. Progresser. Toujours apprendre.


Comment expliquer que votre restaurant japonais étoilé s’appelle La table Breizh café ?

À la maison, je partage les deux cultures. C’est un restaurant qui sert de pont. On m’a beaucoup critiqué au début. En plus un restaurant japonais sur le port de Cancale. On me disait “Installe-toi à Paris !


Qu’est-ce qu’on peut dire à ceux qui considèrent que la crêperie sent le graillon ?

Là, je ne vois pas ce qu’on peut faire. La crêperie doit vivre sa révolution, créer des espaces plus contemporains. On doit pouvoir dépoussiérer cette culture, décomplexer la crêperie. La crêperie doit s’imprégner d’autres cultures pour s’enrichir. Si je m’installe aux Etats-Unis, je pourrai peut être associer cette culture à la mienne. C’est ce que j’aime dans ce métier. Il faut oser !


Breizh Café, Cancale, Saint-Malo, Paris…

120 collaborateurs (90 au Japon, 30 en France)


5 dates clés


Mariage en 1994

1995, Genève-Tokyo, choix d’aller vivre dans le pays de mon épouse

1996 ouverture de ma première crêperie.

Prix du fooding en 2010.

2012 : 1ère étoile Michelin sur le port de Cancale pour la table Breizh Café.

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