top of page
Rechercher

Carte blanche à Lena Paugam : la fabrique de L'ovni rêveur



Texte et photo / Léna Paugam * Portrait © Isabelle Vaillant Publié dans le magazine Kostar n°94 - février-mars 2025


On suit passionnément le parcours de Lena Paugam. Autrice, metteuse en scène et comédienne, elle nous surprend toujours par ses choix et son audace. Elle mène ses projets personnels au sein de la Cie Alexandre, basée à Saint-Brieuc. Alors que Gisèle Halimi - Une farouche liberté se joue partout, alors qu’elle tourne avec Ode maritime, Kostar lui donne carte blanche à l’occasion de la création de Ovni rêveur, son nouveau spectacle.



Je demande : « Hélène, c’est quoi, pour toi, la beauté ? » Elle nous répond : « Étape avant la fuite du temps pour construire le présent. »  

Parce que c’est bien de beauté qu’il s’agit là. Mais de quelle beauté s’agit-il ? Là, suspendus aux instants fragiles que nous contemplons ensemble, qu’observons-nous ? Le présent-même, toujours repoussé par la force de l’invention. Ces deux-là, Hélène Nicolas, alias Babouillec, et Thierry Thieû Niang, produisent un temps singulier, une densité à la fois légère et profonde, à la fois simple et grave, la musique de l’incongrue rencontre de deux montagnes-mondes.   

Babouillec, diagnostiquée “autiste très déficitaire” à l’âge de 14 ans, ne parle pas mais écrit et la puissance de ses mots, posés lettre après lettre sur la table, nous emporte et nous désarçonne. Tout comme le danseur met en jeu son corps, la poétesse fait vibrer l’urgence de sa parole au cœur du silence. Avec Ovni Rêveur – le corps éparpillé dans la tête, il s’agit pour nous de s’interroger sur le temps que chacun prend pour écouter, regarder, sentir, rencontrer l’Autre. Notre recherche repose sur le plaisir et l'amusement des interprètes, sur leur désir de se présenter ensemble au public. Avec malice et complicité, au fil des répétitions, Thierry et Hélène s’apprivoisent, inventent leur langage commun, découvrent la grammaire de leur danse.   

Cette pièce pose comme principe fondateur que le lieu de la rencontre, au sens du “commun” à fabriquer collectivement, est dé-situé par rapport à nous-même. Il implique un déplacement vers autre chose, un déplacement de chacun des artistes bien entendu mais également un déplacement du public lui-même. Il suppose de se mettre en déséquilibre, en vertige. L’Ovni est traversé, traversant, en route dans le temps, toujours suspendu mais jamais figé, de la présence. Il est “désir” par essence. Nous tendons vers lui infiniment au cœur du rêve qu’est le théâtre. La scène ici n’est autre chose qu’un espace-temps partagé ensemble à inventer les modalités de ce rêve éphémère.   


“Notre recherche repose sur le plaisir et l'amusement des interprètes, sur leur désir de se présenter ensemble au public.”

Notre processus d’écriture au plateau se propose ainsi : le matin, j’arrive avec un sujet, une question ou un thème (exemples : faire silence, image de soi/regard de l’autre, cadrer/décadrer – le rapport aux limites…). Je propose également un dispositif, du mobilier, des objets ou matières et des principes techniques (amplification sonore, captation vidéo retransmise en direct…). J’annonce un cadre temporel (de 15 à 45  mn), puis, accompagné.e.s par Xavier Jacquot au son et Louisa Mercier à la lumière, les deux interprètes improvisent des séquences d’exploration de ces outils. Enfin, nous discutons, chacun raconte ce qu’iel a vu et ressenti et nous questionnons Hélène et Thierry sur ce qu’iels ont vécu au plateau.   Il nous faut chercher, expérimenter, voir ce que produisent nos idées, explorer sans cesse les possibles, renouveler notre regard, ne pas chercher l’efficacité, continuer à accepter de se perdre, non pas errer mais fouiller, trouver des chemins sous la terre, des tunnels, ou des passerelles, des ponts suspendus dans les airs, pousser des portes, découvrir des escaliers dérobés. Tel est le chemin qui s’impose à nous. Et Babouillec nous en indique la voie : « Clamons ce débordement des lignes. Ces hors-pistes, ces cerveaux qui moulinent et s’emmêlent dans le silence. Cette peur de la solitude dans l’ordinaire du monde. Ce nuage libre de flotter, de transporter les sens dans l’autre dimension entre la terre et le ciel. »   

Avec la poétesse, il s’agit de promouvoir la fête et la jubilation scénique comme une réponse au monde normatif. Montrer non pas le non-sens mais le sens profondément libéré de toute injonction à produire un discours récupérable et un savoir transmissible. Sur le mode du rêve, la scène s’invente ici comme une chambre de possibles où se joue l’exploration de la liberté et de l’acceptation de soi au monde. Quel est le terrain propice à la rencontre de deux êtres aux réalités existentielles si éloignées ? La scène, comme l’amour, est à réinventer. Elle exige pour elle-même une constante remise en question du modèle.   

Ce projet nous confronte à nous-même, à la place que nous accordons à l’écoute dans notre vie, à ce qu’elle implique comme exposition à l’inconnu, comme sortie de soi. Au cours des répétitions, nous découvrons en chacun de nous la part résistante à l’écoute, celle qui cherche ses bases pour ne pas tomber, et Babouillec ouvre la voie vers le vertige requis pour la rencontrer : « La liberté est une œuvre intemporelle. Fantaisie ultime. Rire à demi-mots. Course dans l’arène des corps. Pleurer. Rire. Danser. Fabriquer du son. Peau tendue du tam-tam de nos pertes d’équilibre. Soyons fous. Délirants. Amoureux de l’impossible », nous dit-elle.   


Ovni Rêveur – Le Corps Éparpillé dans la Tête, Théâtre de Lorient, de 25 au 27 février ; Le Quartz, Brest, 4 et 5 mars ; École Municipale de Musique, Carquefou, 24 Avril.

Kommentare


bottom of page