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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 31



Texte / Chloé Audéon * Photo / Tangui Jossic pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°31 - été 2012



Cher Patrick,

Désolé… mais pour cette fois, c’est cuit. Je ne serai pas en mesure de remettre mon texte pour la prochaine édition de Kostar. Je sors à peine de la création d’un opéra pop-rock (Pop’pea, dont les représentations viennent de débuter au Théâtre du Châtelet) et, franchement, je suis lessivé, physiquement et mentalement. Et puis, j’entre dans la phase de «dépression post-création». La production d’un opéra est un antidote particulièrement efficace contre le vide. Surtout si l’on est, comme ce fut mon cas, scénographe et co-metteur en scène. On est hypra-occupé et préoccupé, mais, surtout, on est baigné dans une utopie artistique et affective, bercé par la réitération de chansons qui nous enveloppent, nous tiennent à l’écart de la réalité anarchique du monde. La peur de l’échec est omniprésente, mais elle contribue aussi à nous remplir ; elle nous protège d’autres peurs plus essentielles, elle renforce les échanges affectifs (en début de journée, les bisous, embrassades et poignées de mains se multiplient au point que l’on se demande quand on va vraiment se mettre au travail…). Après avoir salué les maquilleuses, les cintriers, les ingés son, les machinistes, les accessoiristes, les responsables des relations publiques, les pompiers, les costumiers, les acrobates, les électros, les danseuses, les habilleuses… surviennent des montagnes de questions qui repoussent d’autant le passage à l’action concrète : « Quand la moto entre en scène, le phare doit-il être allumé ? », « Le godemiché pour la scène d’amour est-il assez gros ? », « La fille en latex aura-t-elle un rouge à lèvre rouge sang ou rose bonbon ? ». Certaines questions relèvent d’un vocabulaire spécifique : « Les choristes doivent-ils attendre l’appui du taps pour sortir par la moustache à jardin ? »…


“Le godemiché pour la scène d'amour est-il assez gros ?”

… Bref le remplissage mental se poursuit et, en fin de journée, quête du non-vide oblige, on s’abreuve de bières et de paroles. Échappant enfin à l’univers clos de la scène, on s’empresse, par l’accumulation d’anecdotes, de le réactualiser, d’en réédifier les limites, dès fois que le réel nous rattraperait. Une fois couché, le sommeil est dur à trouver. Des bribes de ritournelles envahissent notre esprit rendu spongieux par la fatigue. Avec tout cela, le retour à une vie plus « quotidienne » s’accompagne forcément d’un sentiment d’amertume et de vacuité. Écrire en solitaire un petit texte pour un magazine paraît insurmontable. Enfin... si c’est l’occasion de revivre une once de l’utopie défunte, on y parvient quand même.


Pop’ pea est un opéra pop-rock fondé sur le texte et la musique du Couronnement de Poppée de Monteverdi. Les chanteurs principaux sont Carl Barât (ex The Libertines), Valérie Gabail, Benjamin Biolay, Marc Almond (Soft cell), Fredrika Stahl et Anna Madison. La création a eu lieu au mois de mai au théâtre du Châtelet à Paris.

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