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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 32





Pas pris de vacances, comme d’hab. Pour travailler, a priori. Et puis, de toute façon, partir en vacances me motive à peu près autant que de me rendre à la préfecture pour renouveler ma carte grise. Je voulais profiter du calme estival pour pondre un nouveau projet de mise en scène : La Flûte Enchantée de Mozart. Création en 2013, à l’Opéra de Lyon. La Flûte est l’un des opéras les plus célèbres, un des plus casse-gueule aussi, pour un metteur en scène. C’est curieux comme les auteurs de livrets « opératiques » prennent parfois un malin plaisir à emmerder les metteurs en scène. Ils multiplient les changements de lieux, les ellipses, les situations hyper-statiques... Enfin bref, j’ai opté pour un dispositif scénographique moderne, en phase avec les tendances technologiques actuelles : des images animées, en 3D-relief, seront créées en direct, sur scène, et les spectateurs chausseront des lunettes pour jouir des jaillissements visuels résultant du fameux procédé. Ainsi, quand le prince Tamino (un niaisoux de première qui tombe amoureux d’une blondasse uniquement « sur photo ») se fait attaquer par un énorme serpent, ce dernier (un serpent de métal articulé et manipulé sur scène par un danseur) sortira de l’écran. Il dansera dans l’espace de la salle et viendra titiller le crâne des spectateurs de sa petite langue fourchue. A priori le concept « 3D relief en live », dans le cadre d’un opéra, est une première mondiale. Une belle usine à gaz en perspective.


En mode cynico-machiste on pourrait dire : “Ça fait chère la pipe”.

Pour tester la faisabilité de la chose, j’ai acheté une petite caméra 3D compacte à 870 euros, une Sony HDR TD 10 pour être précis. Je cite la marque car j’ai bientôt rendez-vous avec un responsable du mécénat de la fameuse firme nippone. Si je fais de la pub pour ses produits, il sera gentil avec moi. J’ai fait un test avec un balai-brosse placé devant la caméra. Étonnant. L’objet semblait flotter dans l’espace à 10 mètres en avant de l’écran. N’écoutant que mon sens aigu de l’expérimentation, j’ai fait un autre essai plus intimiste : j’ai fait tomber le slip et mon propre sexe, légèrement érigé, est sorti à son tour de l’écran, sur plusieurs mètres. Impressionnant. Impressionnant mais aussi « pertinent ». Il semble en effet que le phallique serpent de La Flûte exprime ce désir débridé qui ne doit en aucun cas gouverner nos actes.

Mais bon, à part ça, j’ai pas foutu grand-chose. Grosse difficulté de concentration liée à une love story impossible avec une charmante jeune femme mariée, résidant hors de France. Textos à gogo, risque de rupture permanent, stratagèmes machiavéliques pour se retrouver secrètement dans des 4 étoiles en périphérie d’aéroports internationaux. En mode cynico-machiste on pourrait dire : « ça fait chère la pipe ». Mais quand on aime, on ne compte pas... C’est fou comme les histoires de ce genre vampirisent le cerveau, plongent dans la dépendance, au « smartphone », entre autres. « J’ai l’impression d’être amoureuse de mon téléphone » m’écrivait-elle un jour, planquée dans les toilettes d’une aire d’autoroute, à quoi, dans un élan sentimental du meilleur goût, je lui répondis : « Coince-le entre tes cuisses, en mode vibreur, et promis : je t’appelle 40 fois de suite. » Ainsi mon été, qui se voulait studieux, s’est effiloché en rêveries douces et moroses, productrices, tout au plus, de petits poèmes érotico-romantiques. Pas inintéressant comme approche du fragile fonctionnement de l’humain, si prompt à se soumettre au besoin d’amour, aux élans du désir.

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