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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 55


Texte et photo / Pierrick Sorin * Modèle / Arzu Dogan * Photomontage / Charlie Mars Publié dans le magazine Kostar n°55 - avril-mai 2017

On a mis des perruques, longues, pour tester la soufflerie, pour voir si ça “décoiffait”, si ça faisait l’effet “bourrasque” recherché… Ça marche. Enfin, ça dépend de la position qu’on occupe dans la pièce. Mais de toute façon, avec 14 ventilateurs centrifuges à 2400 tours minutes, on est un peu au taquet, question budget… et faudrait pas non plus qu’un gosse maigrichon se retrouve aplati contre un mur façon “crêpe et son coulis de fruit rouge”. Je m’égare. Cyril et Xavier ont réalisé la soufflerie. On travaille ensemble depuis des années. Sous le nom de “Cellule B”, ils réalisent des décors, des machineries, des sculptures, des pièces d’artistes… Eh oui, les artistes ont des idées mais ils ne savent pas toujours comment les réaliser eux-mêmes. Le TGV qui jaillit hors de l’écran, sur une distance d’au moins 4 mètres, qui se change en serpent sous le nez des spectateurs et leur souffle violemment dessus, c’est l’œuvre de Picto Filmo, une boîte nanto-parisienne qui fait de l’animation 3D. C’était notre première collaboration. Bon boulot. Eric, qui m’accompagne sur des projets depuis les années 2000, avait en charge le montage video-relief et la synchronisation entre la soufflerie et l’image du train qui ouvre sa grande gueule. Arzu, avec ses yeux de biche, a joué le rôle de la femme de ménage et moi celui du vitrier, brut de décoffrage.

“J'espère que le public retrouvera ici la fraîcheur de regard des spectateurs des frères Lumière.”

Cette nouvelle réalisation sera présentée début avril aux Champs Libres – vaste lieu culturel polyvalent situé à Rennes – dans le cadre d’une exposition intitulée Tous les trains sont des horloges, LGV1H25. La mise en service, cette année, d’une ligne à grande vitesse reliant Rennes à Paris en 1h25, a suscité ce projet. Cinq artistes ont été sollicités pour créer des œuvres sur le thème du train et de la vitesse (Cécile Léna, Flop, Joanie Lemercier, Jean-Michel Caillebotte et moi-même). Un thème plutôt facile pour qui travaille l’image animée. J’ai proposé de réaliser un dispositif associant projection stéréoscopique et machinerie venteuse ; ça fait un peu “Futuroscope”… Le relief au cinéma c’est souvent un peu “moyen”. L’œil s’installe dans la profondeur d’une image mais il est sans cesse brutalisé par les changements de plans. Les objets ou les corps sont souvent mutilés par les limites d’un cadre qui nous rappelle que ce n’est “que du cinéma”. Par contre, si on raconte une histoire sous forme d’un plan fixe et unique, dans lequel objets ou corps ne sont pas coupés, l’effet de réalité est tout à fait réjouissant.

J’ai opté pour une histoire très courte : un moustachu met en place une grande vitre dans le cadre d’une fenêtre donnant sur la profondeur d’une nuit étoilée. Du ciel surgit un TGV-serpent, un “serpentrain”, pourrait-on dire. Il explose la vitre, s’approche du spectateur dans un fracas de verre brisé et lui souffle dessus. La vraie soufflerie se déclenche… C’est très naïf, volontairement, comme l’étaient bien des films des débuts du cinéma. J’espère que le public retrouvera ici la fraîcheur du regard des spectateurs des frères Lumière. Spectateurs qui, dit-on, furent effrayés en voyant avancer vers eux l’imposante locomotive dans L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat.

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