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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 78



Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°78 - décembre 2021-janvier 2022



Il y a quelque temps, j’ai été invité à donner une conférence sur mon travail dans une école d’art. J’ai accepté. Je voyais là une occasion de m’interroger sur ma production artistique et plus précisément sur le fait qu’elle relève ou non du champ de l’art contemporain. J’ai donc intitulé ma future intervention : “Pierrick Sorin est-il un artiste contemporain ?” L’emploi de la troisième personne exprimant, a priori, ma volonté de me considérer comme objet d’étude et non un trouble mental de dissociation identitaire. Quand j’ai annoncé ce titre à Mathieu, l’organisateur de la conférence, il s’est marré : “Ah ! Ah ! Très drôle… C’est de l’ironie Pierrick, n’est-ce pas ? Vous ne doutez quand même pas du fait que vous soyez un artiste contemporain ?” Je lui ai dit que si, que je doutais de beaucoup de choses et que, de plus, ce questionnement serait l’occasion de tenter d’élucider cette notion d’“art contemporain”. Longtemps, en effet, et comme beaucoup d’acteurs de l’art sans doute, j’ai employé ce terme, ce “label” diront certains, sans me poser trop de questions, par mimétisme social et parce que je comprenais plutôt bien les gestes d’un Duchamp ou d’un Wharol. Et surtout, j’exposais dans des musées d’art contemporain, je fréquentais des artistes contemporains, des collectionneurs, des critiques d’art contemporain… Reconnu dans les cercles aptes à valider cette appellation, j’étais donc, de toute évidence, un “artiste contemporain”. Aujourd’hui, sans doute moins happé par la dynamique d’une carrière montante, j’ai d’avantage d’exigences cognitives ; je cherche à comprendre certaines choses, comme par exemple : “Qu’est ce qui fait qu’une œuvre est contemporaine”, intrinsèquement, au-delà du fait qu’elle soit estampillée comme telle par un milieu autorisé.

“Plus je me documente, plus mon esprit se perd dans l'épaisseur d'un brouillard sémantique.”

Je me suis donc lancé dans quelques recherches, butinant d’un livre à l’autre, fouinant du côté de philosophes de l’art méconnus en France – à tort – comme Danto ou Dickie. Je pensais qu’en quelques jours j’y verrai clair. J’étais un peu naïf. Les approches du sujet sont multiples, parfois complémentaires, souvent contradictoires et, bien sûr, plus je me documente, plus mon esprit se perd dans l’épaisseur d’un brouillard sémantique. J’ai quand même trouvé un point d’appui pour ma conférence : l’ouvrage de Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain. L’autrice, sociologue, tend à définir un ensemble de caractéristiques et de fonctionnements propres à l’art contemporain, ensemble qui forme une sorte de modèle de référence à partir duquel on peut estimer qu’une œuvre ou une démarche artistique relève ou non de ce genre d’art. Citons juste quelques-unes de ces caractéristiques : la transgression des règles et des limites de l’art, la dé-matérialisation de l’œuvre (art conceptuel), le renouvellement du rapport à la temporalité (œuvres éphémères, performances), à l’espace (œuvres in situ, land-art), au spectateur (interactivité), le rôle du discours autour de l’œuvre, l’hybridation (mélange des techniques et matériaux dans les installations)… À l’aune de ce modèle, ou “paradigme”, je devrais donc pouvoir avancer sur mon questionnement : “Pierrick Sorin est-il un artiste contemporain ?” Mais je sens bien, déjà, que sa formulation est un peu stupide. Ce n’est pas l’artiste qui est ou non contemporain, ce sont ses œuvres. Quand, dans les années 90, je réalisais une vidéo consistant à chier sur l’objectif de la caméra ou quand j’installais, au Musée d’art moderne de Paris, un dispositif faisant croire au spectateur qu’il allait se prendre un coup de pied au cul, j’étais parfaitement dans le champ du contemporain. Quand je réalise des œuvres optiques fondées sur le plaisir rétinien, sur l’effet visuel et sur des règles esthétiques classiques, je ne le suis plus. Bon, je vais poursuivre ma réflexion, qui, in fine, ne mènera peut-être à rien. Ça n’est pas grave. Le questionnement intellectuel, c’est comme le jogging, ça sert surtout à se maintenir en forme et à fuir le néant.

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