top of page
Rechercher

Le moi dernier, par Pierrick Sorin, épisode 94



Texte / Pierrick Sorin * Photo / Pierrick Sorin / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°94 - février-mars 2025


Le travail du Nantais Pierrick Sorin est mondialement connu. Depuis novembre 2006, il nous raconte son quotidien de créateur. Signé sorin, naturellement.



Je n’ai participé à aucune manifestation – à caractère politique, j’entends – depuis bien longtemps. Quelques exceptions, quand même : je suis descendu dans la rue à la suite d’évènements très graves, à l’issue d’attaques terroristes, simplement pour exprimer ma compassion à l’égard des victimes et mon attachement aux valeurs républicaines. Très jeune, je manifestais volontiers pour des causes diverses. En prenant de l’âge, je me suis toutefois rendu compte que mon engagement reposait davantage sur des croyances héritées de mon milieu familial – mes parents étaient communistes – que sur une réflexion politique un tant soit peu étayée. “Prendre parti”, d’une manière franche et active, m’a semblé alors délicat. Adopter un positionnement juste, sur nombre de sujets, aurait supposé que j’acquière des connaissances un peu solides dans divers domaines (économie, histoire, géographie, sociologie…). C’était trop de travail ; j’ai préféré me concentrer sur mon activité d’artiste et exprimer, juste par les urnes, mon refus de voir le néo-libéralisme débridé ou l’étroitesse mentale d’une droite populiste étouffer nombre de valeurs humanistes.  

En cette fin d’année 2024, toutefois, face à la volonté d’une majorité d’élus du Conseil régional des Pays de la Loire d’opérer brutalement des réductions budgétaires drastiques concernant le soutien à la culture et à la vie associative, j’ai pris position. Ces coupes budgétaires sont en effet scandaleuses. Elles relèvent avant tout d’un choix idéologique sous-tendu d’ambitions personnelles ou partisanes. Il ne s’agit aucunement d’œuvrer avec noblesse pour l’intérêt général. L’éditorial du journal Libération du 21 décembre dernier est assez convaincant à ce sujet, je conseille.  


“J'ai donc décidé d'enfourcher mon vélo pour rejoindre une manifestation sous les fenêtres du Conseil régional.”

Bref, il y a quelques temps, par un petit matin froid et humide, j’ai donc décidé d’enfourcher mon vélo pour rejoindre une manifestation sous les fenêtres du Conseil régional. Avant de partir, j’ai entrepris de préparer un “bon café bien chaud” pour le partager avec quelques “camarades”. La préparation du breuvage, en soi, s’est bien déroulée. Son conditionnement pour le transport a cependant été source de quelques soucis. J’avais bien des bouteilles isothermes sous la main, mais les bouchons s’étaient volatilisés. Après de fébriles recherches, je me suis résigné à utiliser des bocaux à confiture plus ou moins étanches. Le café avait refroidi. J’ai passé les bocaux pleins au micro-onde et je les ai généreusement enrobés de vieux tee-shirts avant de les placer dans le panier avant de mon vélo. J’ai encore recouvert le tout d’un vilain pull bien épais et, juste avant de prendre la route, j’ai versé deux litres d’eau bouillante sur le contenu du panier. J’étais assez fier d’avoir mis au point cet habile procédé isotherme, mais je n’avais pas anticipé les conséquences fâcheuses de son usage dans un contexte hivernal. Comme je pédalais dans le matin frileux, le panier de ma bicyclette prit l’allure d’une cheminée de locomotive. L’eau bouillante s’en échappait sous forme d’une épaisse vapeur. Comme je portais des lunettes, celles-ci furent vite opacifiées par la buée. Mon parcours fut alors semé d’embûches (j’ai entre autres heurté un trottoir et marché sur mes lunettes, tombées lors du choc). Je suis arrivée au point de ralliement avec beaucoup de retard. La manifestation s’effilochait déjà. J’ai raconté mon histoire de pull gorgé d’eau bouillante à quelques amis à qui j’ai offert un café tiédasse. Ils l’ont trouvé “très bon”.  

C’est un peu comme pour certaines œuvres d’art contemporain : l’objet artistique est en soi assez fade ; c’est le narratif ou le discours qui l’accompagne qui lui donne toute sa saveur (aucune ironie dans cette remarque : le déplacement de la charge esthétique, de l’objet vers le narratif lié à l’objet, présente un réel intérêt).  

Pour Noël, j’ai quand même demandé à mon fils de m’offrir une grosse gourde isotherme. Maintenant, je suis fin prêt pour la prochaine manif.  

Comentarios


bottom of page