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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 49


Ça schmoute dans la caisse. Dès les premiers kilomètres, mes fringues s’imprègnent de l’odeur de papier brûlé, de colle néoprène et de La Nuit de l’Homme d’Yves Saint Laurent. Je me doutais que ce tas de bouquins fraîchement carbonisés au chalumeau, ça puerait. J’ai vaporisé du parfum dessus avant le départ ; finalement, c’est pire. Ces livres collés entre eux forment une sorte de sculpture. Je transporte aussi un caisson en bois dans lequel sont fixés un miroir et un téléviseur 40 pouces… Je vais installer une œuvre chez un collectionneur parisien, un brasier “holographique”, disons. Le dispositif sera encastré dans l’âtre d’une cheminée existante. On verra des flammes factices dévorant les livres. L’illusion est efficace.

Passé le péage de Saint-Arnoult, j’active le GPS. Pas vraiment besoin, mais après tout : “ça ne mange pas de pain”. Curieusement, mon guide m’invite à quitter l’autoroute. Sans doute, en raison du trafic, me propose-t-il un itinéraire bis ; j’obtempère. Me voilà sur de petites routes de campagne. De quelques bovins, je croise les regards flasques. J’arrive à Clairefontaine. Longeant un terrain du Centre National du Foot, un souvenir me revient. Un rendez-vous, ici-même, en 98, avec le directeur de la communication de la FFF et Raymond Domenech qui n’avait pas encore remplacé “Mémée Jacquette” aux commandes des bleus. Drôle de rencontre pour un artiste. Un projet me fut proposé : réaliser des vidéos humoristiques, qui seraient télédiffusées pendant les mi-temps des matchs de Coupe du Monde de l’équipe de France. Je pourrais filmer les joueurs sur la pelouse comme aux vestiaires. “On te demande qu’une chose : tu les filmes pas à poil sous la douche”, m’avait dit Raymond. Ma culture footbalistique était limitée. Quand il me parlait de Zidane, je voyais vaguement qui c’était. Mais avec Barthez, j’étais déjà à la rue… Bref, je fus mis sur la touche.

“Je me doutais que ce tas de bouquins fraîchement carbonisés au chalumeau, ça puerait. J'ai vaporisé du parfum dessus avant le départ ; finalement, c'est pire.”

Retour à la réalité : c’est clair, je suis paumé. Mon iPhone affiche 2% de batterie. Juste le temps d’envoyer un texto au collectionneur pour annoncer un gros retard. La nuit tombée, j’arrive enfin à destination. Je suis déjà venu, je reconnais les fenêtres de l’appartement. Problème : mon téléphone est dans le coma et je ne peux consulter ni le code-porte, ni le numéro de mon “client”. Garé à l’arrache, je hurle le nom du type en direction des fenêtres. Sans succès. J’envisage alors de lancer des petits cailloux contre les vitres. Mais à part des mégots, je ne trouve guère de projectiles… Ah si, un petit bout de pneu ! Je m’en saisis. Mes doigts deviennent gluants. Merde ! C’est une crotte de chien ! Dure en surface, mais le cœur fondant. Pas le choix : je la balance contre la fenêtre… Peu après, je franchis le seuil de l’appartement. Je salue mon hôte de la main gauche, prétextant une petite douleur à la droite, laquelle embaume désormais autant que mes fringues. La suite est aussi piteuse : à 2 millimètres près, le caisson magique ne rentre pas dans la cheminée. Pour tenter de remédier au problème je vais chercher des outils dans mon coffre et là, je vois ma voiture qui s’éloigne… sur la plateforme d’un camion-fourrière… Bon, j’ai fini par m’en sortir, une trentaine d’heures plus tard. Retour vers Nantes. Une bonne douche effacera tous ces petits tracas parfois odorants. 

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