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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 60


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°60 - avril-mai 2018

« Vous avez les cristaux, les écailles, le Saint-Esprit. Ce que je préfère ce sont les remplis et le point à trou. Pour les remplis, c’est ma sœur qui s’occupait de l’affiquage, à la patte de homard… » La radio égrène les paroles d’une ouvrière de la dentelle. Elle évoque ses souvenirs, son métier. Mon absence totale d’intérêt pour le sujet devrait m’engourdir plus efficacement qu’un Lexomil… Mais c’est pas gagné : je rentre juste de Shanghaï, je suis un peu décalé, je m’agite sous les draps. Je repense à cette ville. J’aimerais bien y retourner. Un jour, peut-être…

Onze heures du matin : le cerveau ramolli, j’ouvre ma boîte mail. Je découvre un courrier, posté à l’aube, signé d’un inconnu : « Cher Pierrick, j’organise une exposition à Shanghaï sur le thème de la dentelle. J’aimerais vous proposer une commande artistique… » Je rappelle le type aussitôt. Il est surpris de ma célérité : « La dentelle vous intéresse, on dirait ? » Je réponds : « Disons que… cette nuit, j’ai écouté avec attention un documentaire sur le sujet et… » Affaire conclue : je vais inventer quatorze scénettes avec une femme vêtue de dentelle et un Sorin, sauce Mister Bean. Ils seront représentés sous forme d’hologrammes, à échelle humaine. Anna Mouglalis est sollicitée pour jouer en ma compagnie.


Je pensais que le costume en tweed marronnasse “ferait chic” mais il me donne surtout l'air d'un péquenaud endimanché.

Elle semble ravie de s’enfermer quelques jours, à Nantes, dans l’atelier-studio qui est aussi mon lieu de vie. C’est grand, mais pas vraiment adapté pour accueillir une équipe de production. Le coiffeur-perruquier s’installe dans ma salle de bain, la maquilleuse dans ma chambre, le styliste dans ma cuisine… Ici et là, s’amoncellent accessoires et vêtements. Anna endosse de multiples tenues et moi un costume en tweed marronnasse. Je pensais qu’il “ferait chic” mais il me donne surtout l’air d’un péquenaud endimanché. Tout le monde est sympa mais je stresse à fond. J’ai l’habitude de “performer” seul, en étant à la fois devant et derrière la caméra. Et là, il y a du monde et je dois jouer tout en donnant des consignes à une comédienne, dotée d’une notoriété certaine, qui plus est. Et surtout, quand débute le tournage, je n’ai écrit que la moitié des scénettes. Comme souvent, les préparatifs techniques et les questions pécuniaires ont été chronophages. Ce n’est que dans des interstices que j’ai pu créer. Finalement, dans l’urgence et avec la bonne volonté des uns et des autres, l’opération est menée à bien et dans quelques jours, pour faire vivre mes hologrammes dans l’espace d’un musée, je vais de nouveau m’envoler vers Shanghaï.


Une scénette, issue de cette production est présentée jusqu’au 20 juillet à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, dans le cadre d’une exposition regroupant des œuvres en rapport avec “L’invention de Morel”, roman culte de l‘écrivain argentin Bioy Casarès.


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