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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 61


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°61 - été 2018

Patatrac !… ou plutôt… Bong ! bang !… Le bruit m’a fait sursauter. Je me suis retourné et j’ai vu le 55 pouces vautré sur le sol. L’écran était posé en hauteur, sur un socle, en appui contre le mur et il a glissé… Peu de chance qu’il soit indemne. Les boules ! 690 euros, acheté il y a 15 jours… Le pire, c’est que j’en ai déjà niqué un, trois mois plus tôt. Je m’empresse de le brancher, pour voir… la dalle de cristaux liquides s’allume mais elle affiche d’étranges taches de couleur… des lignes vertes, jaunes, rouges… Pas la peine de chercher plus loin : l’écran est bon pour la déchetterie. Quoique… Mes yeux s’attardent sur une construction lumineuse accidentelle : de fines lignes en cheveux d’ange créent un bel effet de verre brisé, une représentation d’impact.

“C'est bien pratique d'être artiste : un ratage, un incident banal qui normalement est cause de désagrément devient source d'invention, de plaisir.”

Mon désarroi laisse place à une certaine jovialité. Tout compte fait, la chute a engendré une image d’une qualité graphique indéniable. Le banal écran s’est changé en une peinture électronique, une composition abstraite dont la forme relève d’une esthétique plutôt flatteuse, un peu bourgeoise. En même temps, la nature high-tech du support et le process particulier de cette “création” (accidentel et destructeur) lui donne une assise conceptuelle qui peut légitimer son statut d’œuvre contemporaine. Je m’imagine déjà brisant à la chaîne moult téléviseurs Ultra-HD et les vendre “comme des petits pains” via quelques galeries parisiennes ou chinoises. Et puis, j’ai une assurance tous risques pour mon matériel, alors je pourrais même me faire rembourser les écrans en disant que j’ai pas fait exprès de les flinguer. Bon, on verra…

Ce que je retiens surtout de cette petite histoire, c’est que c’est bien pratique d’être artiste : un ratage, un incident banal qui normalement est cause de désagrément devient source d’invention, de plaisir. Un peu d’eau renversée sur mon bureau, une tache d’huile sur le sol de ma cuisine… et des rêves de sculptures s’animent au creux de mon cerveau… L’art, ça peut être simplement ça : une manière décalée de voir le réel, avec ou sans production d’une forme tangible derrière. Après, si un jour je me fais écrabouiller dans ma voiture sur un passage à niveau, aurai-je le cœur à une ultime jubilation : celle de nous considérer, la caisse et moi, comme une splendide compression à la César ?


Ayant juste écrit ce texte, j’ai voulu faire un peu de repassage. J’ai laissé le fer à repasser posé à plat sur un piano électrique, bien cher. Pas mal dans le genre. Je vais mettre ça sur ma page Facebook, tiens.


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