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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 62


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°62 - octobre-novembre 2018

Bonne idée pour un mois d’août : jouer à l’astronaute en pleine canicule, dans un studio sans clim et sous le feu de 6000 watts d’halogènes… Si encore j’avais porté un déguisement léger, à deux balles… Mais non, j’ai dégotté une tenue digne de Neil Armstrong : combinaison matelassée, casque à bulle hermétique, gants et moon-boots fourrés… À la vue du résultat, certains diront peut-être : « T’as dû te marrer à faire ça ! » Je me marre rarement à faire mes trucs rigolos. Trop de contraintes à gérer. Mais là, ce fut pire que tout. Une torture… Le tournage devait durer trois jours mais l’inconfort est mère de bien des ratages et j’ai eu droit à une semaine de prolongation. Conséquence budgétaire à la clef : gros surcoût en location de matériel… Mes honoraires ont quelque peu fondu dans la chaleur de l’été. Mais bon, maintenant, ça va.

Je suis à Vevey, en Suisse, petite ville charmante au bord du Léman. Chaplin a fini ses jours ici, Godard se terre à quelques encablures. Tous les deux ans, la ville accueille une soixantaine d’artistes internationaux : c’est le Festival Images. J’installe l’œuvre produite à la sueur de mon front et du reste, dans une grande salle obscure. D’abord, une séquence sur un téléviseur vintage : un paysage lunaire et un astronaute qui recueille des échantillons de poussière, profite de l’apesanteur pour jongler avec une grosse pierre et fait une découverte étrange qu’il tente de dissimuler. Les images sont floues, parasitées, comme provenant de l’espace. On peut croire un instant à un document d’époque…


“Dé-construire un mensonge par un autre mensonge.”

Ensuite, une petite maquette face à une caméra : une portion de sol lunaire où repose une miniature du module lunaire “Eagle”. Plus loin, une large porte ouvre sur un studio bleu où deux personnages jouent devant une autre caméra : l’astronaute qui tente de se mouvoir en mode un peu flottant et une femme, toute en bleue, qui manipule des objets fixés au bout d’un bâton. On peut croire de prime abord que ce sont de vrais comédiens. En fait, ce sont des hologrammes à taille humaine. On assiste à la fabrication de la séquence vue sur la vieille télé, ou du moins à un simulacre de fabrication… C’est comme dé-construire un mensonge par un autre mensonge. Je laisse aux penseurs aguerris le soin de trouver là une intention philosophique cohérente. En tout cas, je ne souhaite pas alimenter les théories complotistes même si à l’époque où j’ai découvert le procédé d’incrustation vidéo, je me suis posé quelques questions au sujet des missions Apollo. Non, c’est juste que le “voyage dans la lune” est propice à quelques métaphores ludiques quant au pouvoir trompeur des images. Question honoraires, ma sueur sera peut-être récompensée, finalement. J’ignorais en concevant ce projet que l’année 2019 verrait naître des événements pour le cinquantenaire du premier pas sur la lune. Quelques institutions d’envergures ayant eu vent de l’histoire pointent déjà le bout de leur nez. Pour une fois, je suis dans le mouv’.




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