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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 77


Cette image est la reconstitution d'un fait réel; les signes ou indices qu'elle contient sont cependant inadéquats en regard des éléments authentiques constitutifs du fait concerné.

Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain



On dirait le scénario d’une comédie à deux balles : deux types (qui, au début de l’histoire, ne se connaissent pas) portent les mêmes noms et prénoms ; ils vivent dans le même quartier. Cette homonymie donne lieu à moult mésaventures et quiproquos, d’autant que, bien sûr, leurs personnalités et statuts sociaux divergent fortement. En vrai, j’ai vécu la chose, il y a quelques temps…

Un jour, une dame m’a appelé, une assistante de production de la chaîne Paris Première : « Vous êtes bien M.  Sorin, l’artiste ?, m’a-t-elle demandé.

— Oui-oui, j’ai répondu.

— Je voulais juste vous dire que nous avions prévu de faire un reportage sur vous à l’occasion de votre exposition à la galerie Pièce Unique. On devait venir aujourd’hui, à Nantes, mais on vient d’annuler. J’avais organisé le rendez-vous par téléphone avec M. Pierrick Sorin. Il semblait surpris, mais très content… Ce matin, l’équipe était prête à partir. La journaliste a rappelé M. Sorin in extremis pour préparer l’interview. Il tenait des propos étranges, assez incohérents. Finalement, il a reconnu qu’il n'était pas du tout artiste. C’était juste votre homonyme. Comme le reportage était pour le JT de demain midi, c’est trop tard pour corriger le tir... »

Devant moi se tenait un homme, la mine fermée, des lettres en main. Il me faisait penser au professeur Raoult. “Bonjour, je suis Pierrick Sorin”, m'annonça-t-il .

En début de soirée, la sonnette de mon atelier a fait “ding ! dong !”. J’ai ouvert. Devant moi se tenait un homme, la mine fermée, des lettres en main. Il me faisait penser au professeur Raoult. « Bonjour, je suis Pierrick Sorin, m'annonça-t-il .

— Ah ! Je viens juste d’entendre parler de vous par une personne de Paris Première, lui ai-je répondu. » Il a enchaîné en exhibant un chèque : « J’ai reçu ça, c’est sûrement pour vous. » C’était un versement de huit cents euros provenant d’un musée new-yorkais, des droits d’auteur. Il a continué : « Alors, je veux bien vous le rendre, mais moi j’ai pas un gros salaire, je suis conducteur de Manitou (il s’agit d’engins de chantier et non pas de sages indiens affublés de coiffes à plume et de colliers d’os). Donc, j’aimerais bien avoir une petite commission…» J’étais sur le cul. Je le regardais, les yeux ronds. Je l’ai laissé poursuivre : « Et puis y a toutes ces invitations que je reçois pour des vernissages, à Paris surtout  ; mais j’ai pas les moyens d’y aller ; ça coûte cher d’aller à Paris. En plus, c’est des invitations pour deux personnes ! » Je lui ai juste dit : « Mais vous êtes pas tenu d’y aller, ni seul, ni à deux, en plus c’est pas pour vous ! » Il a ajouté : « Oui, mais quand même, ça donne envie… »

Là, j’ai senti que ce type avait un problème psychologique : face aux situations provoquées par cette homonymie, il percevait mal la frontière entre son identité et la mienne. Et c’est là que le meilleur est arrivé… Il m’a lancé, en s’énervant : « Le pire c’est que ma femme a voulu me quitter à cause de vous ; à cause d’une lettre que j’ai reçue. C’était une déclaration d’amour de la part d’une admiratrice. J’ai caché la lettre dans un tiroir ; ma femme l’a trouvée. Elle voulait pas croire que c’était pas pour moi. La lettre, j'vous la rends pas, j’y tiens.

— Mais… j’ai répondu, déconcerté, votre femme a bien dû comprendre que la lettre ne vous était pas destinée !

— Oui, mais elle a bien vu qu’j’étais troublé. »

Son argument m’a laissé sans voix, il a poursuivi : « Faut que ça cesse, faites quelque chose ! Toute ces histoires, ça empoisonne ma vie ! » Je lui ai dit que je me renseignerais à La Poste pour voir si je pouvais “faire quelque chose” et comme je sentais qu’en raison de son approche très particulière du problème, le dialogue était voué à patauger dans l’absurde, je lui ai filé un chèque de 50 euros pour récupérer le mien et j’ai pris congé.

Je n’ai plus jamais entendu parler de ce Pierrick Sorin ; je ne saurai jamais si quelques chèques se sont de nouveau égarés dans sa boîte aux lettres et quant à l’auteure de cette déclaration d’amour, qu’il a jalousement conservée, je ne saurai jamais qui elle est…

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