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Le moi dernier par Pierrick Sorin, épisode 86



Photos / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°86 - été 2023


C’est reparti… Je dois encore me maquiller le museau, essayer de multiples perruques, me coller fausses barbes et moustaches, enfiler un tas de costumes – une armure en acier de 20 kilos, entre autres… Je dois me transformer en homme du néolithique, en barbare, en Jules César, en Napoléon, en chevalier moyenâgeux, en Jean-Luc Godard, en ouvrier d’une ancienne fabrique d’allumettes… Le but : créer une fresque vidéo qui résume, de manière amusante, l’histoire de Nyon, une charmante petite ville suisse. En terme de véracité historique, ce sera pour le moins approximatif. L’œuvre sera présentée en septembre, dans une salle du château qui surplombe le lac Léman. J’ai déjà réalisé ce genre de chose, en 2005, pour évoquer l’histoire de Nantes. Cette fresque animée est toujours visible au Château des ducs de Bretagne. Pour l’occasion, j’avais endossé les rôles d’au moins 80 personnages. Autant de rôles tenus par le même acteur au sein d’un même film, c’est peut-être un record mondial, qui sait ?


“Quand je vois tous les personnages que j’ai interprétés au cours des trente dernières années, je me dis que je pourrais utiliser mes images d’archives pour créer un jeu de sept familles, voire même plusieurs.”

À l’époque, j’avais la quarantaine et je n’hésitais pas à me changer en femme pour incarner une chanteuse d’opéra, une bigoudène ou la duchesse Anne. Pour la ville de Nyon, je ne joue qu’une vingtaine de personnages – un sacré boulot, quand même – et j’évite les rôles féminins. À mon âge, même avec un travail de maquillage énorme, je risquerais de sombrer dans le ridicule. Enfin… un rôle de vieille mère maquerelle, c’est encore jouable… Quand je vois tous les personnages que j’ai interprétés au cours des trente dernières années, je me dis que je pourrais utiliser mes images d’archives pour créer un jeu de sept familles, voire même plusieurs. Les jeux de cartes seraient en vente dans les boutiques des musées, peut-être même sur Amazon. Ou alors… Non ! Soyons plus moderne : autant créer une collection de NFT – vous voyez, ces images numériques qui, en soi, ne valent rien mais atteignent des prix de vente astronomiques grâce au jeu de la spéculation. Peut-être qu’un héritier fortuné se délesterait de quelques millions de dollars pour acquérir le grand-père de la famille Ténor et achever ainsi sa collection. Je serais enfin riche et je traînerais discrètement ma honte d’avoir souscrit aux formes les plus high-tech de l’ultra-libéralisme… En attendant, si quelqu’un à une armure dans son grenier, je suis preneur. Celle que j’ai trouvée en location coûte 450 euros la journée et comme je vais mettre 3 jours pour parvenir à l’enfiler, ça va exploser mon budget.




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