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Mathieu Bauer, enchanté !



Interview / Patrick Thibault * Photo / © Jean-Louis Fernandez Publié dans le magazine Kostar n°94 - février-mars 2025


Musicien et metteur en scène, Mathieu Bauer est un artiste atypique. Avec un appétit gourmand, il aime surprendre par le mélange des styles et influences. Alors qu’il met en scène Palombella Rossa d’après Nanni Moretti, il s’attaque à La Flûte enchantée, le chef-d’œuvre de Mozart pour Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes.


Vous montez Palombella Rossa d’après le film de Moretti, qu’allez-vous en faire au théâtre ?   

Le théâtre a toujours guidé ma démarche artistique. J’ai découvert le film en 89. On était jeune ! J’étais fasciné par la liberté de Moretti, par son cinéma. C’est comme un compagnon de route. J’ai grandi dans des salles obscures, fasciné par le ciné classique et le cinéma de studio. J’ai toujours aimé manier la grammaire du cinéma dans mes spectacles. 


C’est un film de Moretti particulièrement engagé…   

Je me souviens d’articles au vitriol. À l’époque, il y avait Le Grand Bleu et Palombella Rossa. Et il y avait cette idée que le film de Moretti se maintenait à la surface de l’eau. L’engament politique, l’enfance, la mémoire… Tout ça me fascine. En plus, j’adore le sport. À l’époque, j’osais à peine le dire car c’était mal vu. Je regardais L’Équipe en catimini. Maintenant, c’est différent, c’est plutôt à la mode d’aimer le sport.


Je n’ai pas vu le film depuis la sortie, c’est un peu opératique, non ?   

Non, pas vraiment. Moretti a toujours été fasciné par la musique, toutes les musiques, la variété, avec les airs de Lucio Dalla… Peut-être que ça rejoint le livret de La Flûte enchantée ! Le cinéma de Moretti est très libre, il y a des faux raccords partout. J’aime bien me perdre moi mais, aujourd’hui, les gens ne veulent plus. Alors, dans ce spectacle comme dans les autres, le temps se dilate, je suis un promeneur. Vous allez dire que j’aime faire mon numéro mais oui j’aime bien ça.


Comment définissez-vous votre style ?   

Je viens de la musique. Au début, avec nos disques, on nous mettait dans les inclassables. En vérité, on ne pouvait nous mettre nulle part. J’aime le décloisonnement entre les formes, un côté populaire et une pensée plus esthète. Qu’il y ait des points de friction dans la pensée, ça me plaît. J’aime les codes de la culture populaire. Ça nous ramène au cinéma, à la musique. Au rock’n’roll que j’ai pratiqué jusqu’au punk. Moi j’aimais autant Iggy Pop que Charles Mingus ou Frank Zappa. C’est éclectique. J’ai du mal avec le cloisonnement pratiqué aujourd’hui. 


“J'aime les codes de la culture populaire.”

Pour vous, qu’est-ce qui est commun au théâtre et à l’opéra ?   

La musique. Dans mon théâtre, je joue toujours au plateau. À l’opéra, il y a le travail avec les chanteurs. On ne raconte pas une histoire de la même manière et il y a le chef d’orchestre. Le jour où l’orchestre arrive, ça fait son effet mais il faut prendre de la distance avec ça. Sinon, on peut vite être ébloui. Il faut être assez modeste car moi, j’aimerais juste faire une Flûte enchantée chatoyante et magique mais dans un geste théâtral assez modeste. Pour moi qui suis batteur, à l’opéra, le tempo ne m’appartient pas.


Que retenez-vous de votre première mise en scène d’opéra, The Rake’s progress ?   

Un délice absolu ! J’avais un peu peur. J’ai toujours peur et c’est bien car sinon on est un peu arrogant. On m’avait dit, tu verras, à l’opéra, ils viennent chanter leurs airs et c’est tout. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Je me suis laissé surprendre par la qualité du travail des chanteurs. Ils se sont prêtés au jeu, se sont laissés gagner par la porosité. Il faut dire que le but du jeu, c’est de rendre les gens virevoltants, c’est profondément humain. À l’opéra, on travaille vite et j’aime ça. 


Comment s’attaque-t-on à un monument comme La Flûte enchantée ?   

On le contourne. On fait le tour du sommet. C’est l’opéra qui m’a permis de rentrer dans l’art lyrique. Papageno et la reine de la nuit appartiennent à l’imaginaire collectif. À un moment, je me suis dit, c’est un top 50 ! Alors, on déconstruit, on essaie de comprendre la fable. J’ai laissé de côté la symbolique, le côté maçonnique car je ne voulais pas que ça prenne trop de place. Il y a des signes, il faut bien les traiter mais je fais surtout confiance à la musique. Et si c’est une confrontation entre le monde obscur et le nouveau, c’est quand même, avant tout, une histoire de désir et de joie.


“À l'opéra, on est obligé de s'incliner face à la puissance de la musique, ça donne une chair de poule immédiate.”

Quelle lecture ou transposition en ferez-vous ? 

La Flûte enchantée est la dernière œuvre de Mozart. Il y a cette pulsion de vie et de mort. C’est une œuvre très populaire dans le bon sens du terme alors j’ai eu envie de retrouver la troupe et la dimension de l’artisanat. Il y a toute cette machinerie, un peu d’esbroufe… Il se trouve que je continue d’aller à la fête foraine qui est l’un des derniers endroits de mixité. J’aime imaginer que toute l’action s’y passe. Avec la baraque, la pomme d’amour. J’ai échafaudé un univers forain mais contemporain. L’idée de l’initiation doit se faire dès le début. J’aime imaginer que les personnages sont pris dans un rêve, un songe.


Quel est le message de La Flûte enchantée ?   

Là encore, c’est un délice absolu, c’est vers un avenir radieux, pour reprendre un titre de Nanni Moretti. C’est-à-dire aspirer à l’avènement d’un homme nouveau, un homme qui n’existe pas encore, un homme qui est totalement émancipé, qui a du libre arbitre, qui a de la raison, qui lutte contre l’obscurantisme. C’est un petit bijou pour ça. Puis c’est une ode au désir, à la joie, à l’amour.


En quoi La Flûte enchantée est-elle étonnement contemporaine ?   

Pour toutes les raisons évoquées précédemment et compte tenu de la période qu’on traverse. C’est une ode à l’humanisme, c’est le siècle des lumières, c’est l’universalisme, c’est tout ce à quoi il faut aspirer plutôt que ce qui se passe actuellement.


Quand on retourne au théâtre après une mise en scène d’opéra, est-ce qu’on descend une marche ?   

Pas du tout. Je ne veux pas voir ça comme ça car ça reviendrait à considérer qu’il y a une hiérarchie. À l’opéra, on est obligé de s’incliner face à la puissance de la musique, ça donne une chair de poule immédiate. Je n’ai pas l’impression de redescendre mais de continuer à faire émerger des propositions et idées. Opérer la rencontre avec un public. Et, je ne fais pas de théâtre à message. Je fais confiance à l’intelligence du spectateur.   


Palombella Rossa, Le Lieu Unique, Nantes, 25 et 26 février.

La Flûte Enchantée, Opéra de Rennes, du 7 au 15 mai 2025 ; Théâtre Graslin, Nantes, du 24 mai au 1er juin 2025 ; Grand Théâtre, Angers, 16 et 18 juin.

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