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Tous addict(e)s ?, par Jean-Luc Vénisse


Interview / Vincent Braud * Photo / Tangui Jossic pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°52 - octobre-novembre 2016

“Je suis accro…” En clair, “je ne peux plus m’en passer”. Une autre façon de parler de l’addiction ? On en parle aujourd’hui à tout propos. Psychiatre, Jean-Luc Venisse est à l'initiative de la création du Centre de référence sur le jeu excessif (CRJE) une des premières composantes de l'Institut fédératif des addictions comportementales. Entretien pour tenter de faire la part des choses.

Quelle définition donneriez-vous à l’addiction ?

Il faut toujours se méfier d’une seule définition. Parlons plutôt de deux critères : la perte de contrôle sur un comportement répétitif et envahissant, et la poursuite de ces comportements malgré leurs conséquences négatives sur la vie professionnelle, sociale et personnelle… Cela se traduit en fait par la perte de la liberté de s’abstenir.


Quand commence l’addiction ?

Le curseur est difficile à poser. Il y a des critères médicaux qui, aujourd’hui, sont posés sur des problématiques traitées hier sous l’angle de la religion ou de la morale. Il ne fait pas de doute que les évolutions sociétales ont fait tomber certains carcans antérieurs. D’où la nécessité pour la médecine de s’emparer de ces questions.


L’addiction était, hier, essentiellement liée à la consommation de drogues…

Le toxicomane a longtemps été le bouc-émissaire idéal pour évacuer une question qui, au fond, concerne tout le monde. Depuis 25 ans, on relativise cette polarisation excessive sur les produits illicites. On sait très bien que certains produits licites dont l’alcool — produit à l'origine des dommages les plus importants – et le tabac peuvent être aussi dangereux. On est sorti de cette stigmatisation. On travaille davantage sur les comportements et les consommations, même si toute consommation n’est pas addiction.

“L'addiction, c'est la perte de la liberté de s'abstenir...”

Comment devient-on addict ?

L’addiction ne se réduit jamais à un facteur. Il y a un individu, plus ou moins fragile, et un objet aux propriétés plus ou moins addictogènes, dans un contexte ou un environnement plus ou moins propice. C’est la recherche d’un plaisir intense et immédiat, d’où la répétition de l’action. Le champ de l’addiction s’est élargi aux comportements ou conduites qui entraînent des dommages, physiques ou psychologiques, même si la dépendance n’est pas encore manifeste.


On parle d’une “société addictogène”…

La société n’offre, le plus souvent, qu’une vision à court terme… Elle met en avant la performance… ce qui peut développer l’envie de se procurer quelque chose tout de suite pour un effet immédiat. Aujourd’hui, les outils numériques participent à tout ça, comme un accélérateur du temps. Les capacités d’auto-contrôle de chacun sont mises à mal et il devient difficile de résister à ces pressions.


Sommes-nous tous condamnés ?

Nous sommes tous vulnérables. La limite concerne chacun, c’est humain et il faut l’accepter. L’addiction peut procéder de l’engrenage, de comportements qui se répètent… et il peut devenir difficile de s’en sortir seul. Il y a un phénomène d’entonnoir lorsque le processus happe la vie et la tête. Mais il peut toujours y avoir un élément de vie qui peut permettre d’échapper à cette emprise.


“Le toxicomane a longtemps été le bouc-émissaire idéal pour évacuer une question qui, au fond, concerne tout le monde.”

Aujourd’hui, on pointe du doigt les jeux vidéos, les réseaux sociaux…

Ah, l’addiction et le numérique… L’université de Nantes a organisé un MOOC (massive open online courses) sur le sujet. La facilité, c’est d’avoir un avis très tranché, soit banalisation, soit diabolisation. L’outil numérique peut faciliter les comportements addictifs : plus besoin de sortir de chez soi pour jouer aux jeux d’argent par exemple et on note une augmentation des cas de jeu pathologique. Mais le numérique touche bien d’autres domaines, comme le sexe ou encore les achats… mais, à l’opposé, les outils numériques peuvent être des aides pour s’en sortir et accompagner les soins.


Comment examiner ces problèmes sans référence à la norme ou à la morale ?

Lorsqu’on distribuait de l’alcool aux ouvriers ou aux soldats, on ne se posait pas ce genre de question… On évite ce genre d’écueil dès lors qu’on se concentre sur une rupture de trajectoire. Il peut y avoir des ruptures, ou des phénomènes de “panne” chez les ados par exemple. L’addiction peut alors être une tentative de solution pour trouver des échappatoires.

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