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Une ville ailleurs : San Francisco, par Emmanuel Tellier


Musiciens de l'armée du Salut © Dorothea Lange, San Francisco 1933-34

Texte / Emmanuel Tellier pour Kostar * Photos / © Dorothea Lange, San Francisco 1933-34 Portrait © Mathieu Dufour * Illustration / Maison Bernie pour Kostar


Journaliste musical pour les Inrockuptibles de 1988 à 2000, grand reporter à Télérama depuis, Emmanuel Tellier est aussi artiste. Auteur-compositeur-interprète, pianiste et chanteur, scénariste et réalisateur. À l’heure où il nous livre le film et album musical La disparition d’Everett Ruess – Voyage dans l’Amérique des ombres, il nous fait partager sa vision de San Francisco.


«Oh Manchester, so much to answer for», chantaient les Smiths en 1984. J’adore cette idée selon laquelle une ville aurait des comptes à rendre. Une ville nous fait des promesses, et pourtant parfois, patatras, quelque chose déraille, le territoire fantasmé devient lieu de regrets, de désenchantement. À San Francisco, vous pensiez découvrir la capitale de la dolce vita versant yankee techno-cool ? Oui, il y a de ça. Hipsters tellement hispters que ça ne se voit presque plus. Bars à jus bio, beaux comme des magasins Aesop. Mais la carte postale idéale a les coins froissés : je n’ai jamais vu autant de misère, de déchéance que sur Market Street, l’axe qui traverse downtown. Au numéro 1355, Twitter a son QG, une forteresse de roman. On n’y entre que sur invitation ; l’Amérique ultra-connectée vit derrière des portes blindées. Mais dans les rues alentours, trottoirs et caniveaux racontent une autre Amérique. Des hommes, des femmes vivent dans leurs excréments. Se battent à coups de caddies. Ceux qui ont perdu la tête sont à moitié nus, aussi sales que les poubelles dans lesquelles ils s’écroulent la nuit venue. San Francisco, so much to answer for… Pourquoi sont-ils tous là, ces junkies en bout de route ? Parce que la ville, à la différence de Los Angeles, n’a jamais rompu avec la tradition des soup kitchens. Alors avant de sombrer pour de bon, les sans-abris de toute la Californie débarquent sur Market Street, la faim au ventre. SF, dernière étape avant la morgue.


« Hipsters tellement hispters  que ça ne se voit presque plus. »

Je suis retourné à San Francisco en 2017 pour mon documentaire La Disparition d’Everett Ruess (2). Ce jeune artiste disparu mystérieusement en 1934 y a passé sept mois peu de temps avant de s’évaporer en Utah. Je suis allé sur Polk Street, là où il habitait, dans une pension de famille pour des pauvres juste un peu moins pauvres que les homeless de Market St. Everett, 19 ans en 1933, était un jeune gars culotté. Il avait fait ami-ami(s) avec le peintre Maynard Dixon et sa jeune épouse Dorothea Lange (pas encore photographe célèbre). Le couple travaillait sur Montgomery Street, une sorte de Montmartre local. Au numéro 628 se dressait le «Montgomery Block», immeuble de quatre étages où se côtoyaient Jack London, Ambrose Bierce, Lola Montez, Bret Hart, Maynard Dixon et des tas d’autres écrivains et artistes. Une ruche, un paradis. Everett le savait. C’est cette promesse-là qu’il était venu chercher à SF – comme d’autres aujourd’hui viennent chercher un bol de soupe.

«Viens, jeune homme, le monde des Arts te tend les bras !» Aujourd’hui, le «Block» n’est plus qu’une image évanouie pour sentimentaux dans mon genre ; mais plissez les yeux, et vous le verrez peut-être, là, au pied de la Transamerica Pyramid, la tour inaugurée en 1972. Un gratte-ciel de 260 mètres bâti par une compagnie d’assurances sur les ruines d’un ancien temple de la culture, sans même qu’un modeste panneau ne prenne le soin d’en commémorer la mémoire ? Pas de doute, vous êtes bien en Amérique. 

Emmanuel Tellier, La disparition d’Everett Ruess (B.O. du film), chez DecemberSquare/DifferAnt.


Plan large de la ville © Dorothea Lange, San Francisco 1933-34

Hommes qui cherchent du travail © Dorothea Lange, San Francisco 1933-34

Chroniques de…


Pas facile, en 2019, de retrouver cette “maison bleue accrochée à la colline”… Pourtant, lorsque San Francisco s’allume, difficile de ne pas céder aux charmes d’une ville “british” et (toujours) rebelle. SF reste bien “totalement à l’Ouest” et elle a résisté à la tentation de “manhattanisation” d’un centre que domine, du haut de ses 260 mètres, la Transamerica Pyramid.

On oublie la voiture et on découvre San Francisco à pied ou à bord de l’un de ses cable cars historiques qui se jouent des pentes souvent raides de ces dizaines de collines qui dessinent la péninsule.

Au rayon des incontournables cartes postales, le Golden Gate Bridge qui pousse parfois la coquetterie à se cacher dans la brume en été, l’île d’Alcatraz pour le souvenir d’Al Capone, Haight-Ashbury pour la nostalgie de la contre-culture, ses disquaires et ses boutiques vintage… et bien sûr les demeures victoriennes de Nob Hill.

Sur le plan culturel (et architectural !), il faut bien sûr aller au Moma (museum of modern art), dessiné par Mario Botta, pour y retrouver Klee, Rauschenberg ou Pollock… mais aussi le Musée des beaux-arts (le De Young Museum) à l’architecture étonnante, signée Herzog et De Meuron et aux collections (Rivera, Hopper, O’Keefe, Rothko…) exceptionnelles.

Les “bobos”, eux, ne jurent plus que par Hayes Valley avec ses galeries d’art, ses boutiques branchées, ses cafés, ses terrasses… et son jardin communautaire. Les nuits d’été y sont… très courtes.



Y aller

Nombreux vols directs au départ de Roissy avec Air France. Tarifs selon les dates. En tout état de cause, la période estivale étant la plus chargée, il est toujours préférable de réserver son vol le plus tôt possible. Aller/retour aux environs de 6/700 €.


Y séjourner

N’oubliez pas qu’Airbnb est né à San Francisco où est situé le siège social. Sinon, les hôtels à moins de 100 € la nuit sont souvent dans le Tenderloin. Un peu plus cher le Nineteen 06 Mission dans le quartier hipster de… Mission. Moins central, le Edwardian Hotel sur Market street ou le San Remo.


S'y restaurer

Toutes les cuisines du monde semblent s’être donné rendez-vous ici. Italienne, indienne, japonaise, américaine ou… française : vous n’aurez que l’embarras du choix. À défaut de descendre à LA, on peut déjeuner ou bruncher à l’Hollywood cafe, non loin de Fisherman’s warf. Ou dévorer un généreux burger au Mo’s grill sur Grand ave. Quant au Petit Crenn, dans Hayes Valley, il fera le bonheur des amateurs de fruits de mer et de vins… français. Pour se rafraîchir, on s’arrête au Biergarten pour sa terrasse, sa sélection de pickles, de bretzels et… de bières !

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