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Jean Robert-Charrier, le théâtre en joue



Interview / Patrick Thibault * Photo / Jérôme Lobato Publié dans le magazine Kostar n°80 - avril-juin 2022



Plus jeune directeur de théâtre parisien, il est aussi devenu le directeur artistique du Festival d’Anjou. À la tête du festival comme à celle du Théâtre de la Porte Saint-Martin, il amorce un virage à 180 degrés.



Quelle image aviez-vous du Festival d’Anjou avant d’en prendre la direction ?

J’y suis beaucoup venu car plusieurs de mes spectacles y ont été programmés et j’ai fait partie du jury en 2012. J’avais une image très positive, j’ai adoré découvrir la passion des festivaliers. C’est très touchant. J’ai vu Le Roi Lear avec Michel Aumont, la dernière après La Madeleine sous des trombes d’eau. Je crois qu’on peut faire vivre au public du Festival d’Anjou des expériences plus pointues.


Comment allez-vous dépoussiérer ?

Je ne juge pas ce qui s’est fait avant. Mais, avec un outil comme celui-là, on peut essayer d’emmener les gens vers des formes théâtrales plus exigeantes. Pour le festival, l’intérêt de changer et de prendre quelqu’un de différent, c’est créer un renouveau dans la ligne éditoriale. Si on m’a choisi, c’est pour effectuer un virage. Je veux mixer public-privé.


Le cocktail sera-t-il le même qu’à La Porte Saint-Martin ?

Ici, comme à Paris, je me pose les mêmes questions. Est-ce que moi, spectateur, je m’ennuie ou non devant un spectacle ? Est-ce que le spectacle que je vois m’émeut, me questionne et me fait évoluer ? Je tiens à proposer des spectacles exigeants et accessibles, quel que soit leur genre à chacun. Pas un seul uniquement pour un public averti.


“Si on m'a choisi, c'est pour effectuer un virage.”

Quelles sont les surprises de 2022 ?

Nous pouvons enfin présenter le cycle Joël Pommerat, emblématique du virage du festival. Si la programmation est éclectique, nous mettons l’accent sur les troupes. Le Bourgeois gentilhomme mis en scène par Denis Podalydes, Fracasse de Théophile Gautier par Jean-Christophe Hembert, le spectacle musical Andando Lorca 1936 avec Camelia Jordana et Audrey Bonnet, Comme il vous plaira de Shakespeare avec Barbara Schulz.


Des seuls en scène aussi…

Le Temps de vivre de Camille Chamoux, mis en scène par Dedienne. Pour Pommerat, Ça ira fin de Louis est programmé au Grand-théâtre d’Angers, Contes et légendes à Chemillé et Le Petit Chaperon rouge à Saumur. Les autres plus gros spectacles sont au Plessis-Macé mais on retourne aux arènes de Doué-la-Fontaine avec Michel Fau et Amanda Lear pour Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ? À Angers, on retrouve le Cloître Toussaint.


En mêlant Joël Pommerat et Camille Chamoux, ne finit-on pas par introduire la confusion et considérer que c’est du pareil au même ?

On est face à des genres différents mais je considère qu’il est essentiel de mélanger les genres. Pour moi, il n’y a pas de confusion : dans les deux cas, il s’agit de spectacles exigeants. Je ne transige pas sur l’exigence ! C’est pour ça que j’ai choisi Pierre Arditi comme visage du festival pour l’affiche car qu’il a joué dans le public mais aussi fait énormément de spectacles populaires dans le privé.


Comment êtes-vous venu au théâtre ?

Enfant, ma mère m’amenait au théâtre, privé uniquement. Depuis la petite adolescence, j’ai vu plein de spectacles. Quand est venu le temps de décider, je suis allé en droit comme les bons élèves de l’époque. Je me suis énormément emmerdé. Heureusement, Laurent Terzieff m’a bouleversé.


Ensuite, c’est la success-story, vous entrez à La Porte Saint-Martin comme ouvreur et vous devenez directeur…

Ce qui crée la possibilité de ce parcours un peu étrange, c’est la confiance et la force de frappe de Jean-Claude Camus. Il ne se fie qu’à son instinct, met le pied à l’étrier aux jeunes de 20-25 ans dont il estime qu’ils ont la carrure.


D’autres jeunes ont dû vous envier…

Beaucoup de jeunes sont passés par La Porte Saint-Martin, mon parcours les faisait rêver. Au-delà du culot, il y a un travail indispensable. Pour y arriver, je n’ai fait que bosser pendant des années. J’avais la certitude de pouvoir diriger un théâtre et ça ne peut marcher qu’en étant sûr de soi.


Qui sont les Terzieff d’aujourd’hui ?

Il n’y en a pas. Laurent Terzieff était rongé et dévoré par le théâtre alors qu’il avait tout pour devenir une star de cinéma. Il a refusé de tourner avec Marilyn Monroe car il avait des engagements au théâtre. Aujourd’hui, les acteurs qui ont une culture du théâtre rêvent tous d’être dans la lumière. J’ai peur que le théâtre ait perdu sa capacité à créer des acteurs de renom. Je suis content de travailler avec Vincent Dedienne qui profite de sa notoriété pour faire du théâtre mais il n’y en a pas cinquante.


Quel est le théâtre idéal ?

Le théâtre délesté de l’ennui. L’ennui au théâtre, c’est le cancer. Celui qui ne réussit pas à faire oublier le quotidien, pour moi, ça n’est pas possible. Les spectacles qui m’ennuient sont ceux qui ne sont pas exigeants. Et, ça n’est pas une question de genre car le boulevard peut être exigeant et génial.


“Il faut juste que les egos des acteurs ne soient pas nocifs pour les équipes.”

Quelle est la différence entre les spectacles du théâtre privé et le subventionné ?

Il ne devrait pas y avoir de différence d’exigence ! L’ambition artistique devrait être la même. Le théâtre public s’est concentré sur un théâtre de forme. Il a mis l’accent sur la mise en scène. Le théâtre privé s’est endormi sur l’importance commerciale que représentent les vedettes. L’exigence dans la mise en scène existe peu dans le privé. C’est très sain que les deux univers s’opposent mais c’est idiot de ne pas travailler ensemble. La chose la plus navrante, c’est quand même les spectacles onéreux, payés par de l’argent public, peu représentés et vus par une élite. Mettre des vedettes dans des mises en scène médiocres et facturer 75€, c’est aussi incohérent et médiocre. Je ne prends la place de personne. Je tiens à appliquer les règles du privé au public en jouant au moins 60 fois un spectacle du public.


Est-ce que vous savez ce qu’on vous reproche ?

Qu'il est facile de reprendre des grosses machines du public, plus facile de reprendre Pommerat que des compagnies émergentes. Je trouve ça débile. C’est une totale méconnaissance, un entre-soi épouvantable. Il faut sortir de son théâtre public, demander aux spectateurs qui est Pommerat. Nos vedettes du public sont reconnues par un faible pourcentage de la population.


Comment fait-on pour travailler avec des egos ?

J’y suis confronté tout le temps : ça fait partie de l’identité de l’acteur d’être centré sur son ego parce que ces gens sont fous. Pour endosser des rôles, évidemment qu’il faut avoir un ego au centre de soi pour aller sur une scène devant des spectateurs. Il faut juste que les egos des acteurs ne soient pas nocifs pour les équipes. Il ne faut pas accepter n’importe quoi. Je dois réussir à créer un climat serein.


Après la crise qu’on vient de traverser, comment voyez-vous l’avenir du théâtre ?

C’est compliqué de rouvrir les théâtres après une si longue fermeture. On a vécu un vrai bouleversement de société. Les gens ont appris à rester chez eux. Ils sortent pour voir des valeurs sûres. Les têtes d’affiche et les choses les plus identifiées fonctionnent. Nous devons travailler à changer ça.


Que faites-vous en dehors du théâtre ?

Pas grand-chose. Je fais de moins en moins de sport. Et je pars en vacances avec tellement de pièces à lire… Le théâtre, c’est toute ma vie.


Festival d'Anjou, du 8 juin au 2 juillet. Angers et 49

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