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Alain Mabanckou, la couleur des mots


Interview / Patrick thibault * Photo / © JF Paga - Grasset Publié dans le magazine Kostar n°59 - février-mars 2018


Après Alberto Manguel, c’est l’écrivain d’origine africaine Alain Mabanckou qui reprend le flambeau à la direction artistique d’Atlantide - Les mots du monde à Nantes. L’écrivain entend affirmer l’impulsion internationale du festival des littératures.

Quel est le poids de la littérature africaine dans les mots du monde ?

Le poids de la littérature africaine est là par la présence de la nouvelle génération. Il faut donner à entendre les nouvelles voix qui viennent des pays francophones et les autres. Wilfried N’Sondé du Congo-Brazzaville, Marc Alexandre Oho Bambe dit Capitaine Alexandre du Cameroun, Helon Habila et Chinelo Okparanta du Nigeria, Nii Ayikwei Parkes du Ghana… Ça me semble très important que l’Afrique soit à Nantes. Par le biais des échanges, c’est à nous maintenant de voir comment nous pouvons intégrer les voix des écrivains africains dans les discours du monde.


Y a-t-il, à vos yeux, une littérature française et une littérature francophone ?

C’est contre ça que je me bats. Je ne voudrais pas qu’il y ait une séparation. La littérature qui se définit comme française est suffisante, arrogante. Non, cette littérature écrite en français est une littérature d’expression française ! Nous serions toujours dans une expression coloniale si on les séparait. Côté anglophone, jamais on a séparé Salman Rushdie et John le Carré. C’est ça qui justifie le festival Atlantide. La langue ne nous sert qu’à exprimer notre univers. Il s’agit de rattraper la part d’humanisme que nous avons perdue à force de vouloir trop séparer les choses.


“La langue ne nous sert qu'à exprimer notre univers.”

Qu’avez-vous à dire à la jeunesse du XXIe siècle ?

Ce que j’ai à dire à la jeunesse, c’est qu’il faut garder allumée la flamme de la curiosité. Ne pas écouter les discours des dirigeants. Nous ne devons pas être définis par notre couleur de peau mais par notre capacité à rencontrer et la possibilité de nous retrouver. Je viens d’un pays de dictature où la jeunesse n’a pas la parole, alors je dis aux jeunes qu’il faut respecter ceux qui ne sont pas de leur avis car c’est aussi ça la démocratie.


La littérature est un échange, peut-on rester optimiste dans un monde où la règle semble être le repli sur soi ?

Il faut rester optimiste. L’instinct de la déstabilisation du monde ne date pas d’aujourd’hui. Déjà sous Victor Hugo, il y avait l’exil. Il est allé à Guernesey. Il faut rester optimiste car la littérature nous permet d’avoir une arme miraculeuse comme le disait Aimé Césaire. Et ce pouvoir, on ne peut pas nous l’arracher.


Quelles orientations donnerez-vous au festival nantais ?

Il s’agit de poursuivre sur la lancée d’Alberto Manguel, de donner ma petite touche de décloisonnement des frontières et faire que Nantes devienne la nouvelle capitale des littératures. La tour de Babel des littératures où tout le monde se comprend car le langage et la générosité sont là. Je tiens à dire que c’est exceptionnel qu’un grand festival français de littérature soit dirigé par un Africain. Confier cette direction à quelqu’un qui est d’origine africaine, ça n’est pas si fréquent. Je vais donner une impulsion internationale.


Nantes n’est pas encore allée jusqu’au bout, vous n’êtes pas une femme…

(Rires). On ne peut pas tout avoir d’un coup mais il y a beaucoup de femmes dans l’équipe. Je ne travaille pas seul et je suis entouré d’amazones. Et vous verrez que j’ai invité de grandes pointures féminines au festival. Véronique Ovaldé, Sofi Oksanen…


Que gardez-vous de vos études de droit et premières expériences professionnelles dans ce domaine ?

Je garde la rigueur, la capacité à organiser un discours. Ce qui permet par exemple de composer un programme d’Atlantide, de réfléchir aux thématiques et avoir cette discipline intellectuelle. Le droit recherche la justice et l’équité. Dans la littérature, il y a aussi cette quête.


J’ai envie de vous demander où vous vous situez. Vous avez seulement deux pieds mais un en Afrique, l’autre aux États-Unis et un troisième en Europe…

Trois pieds, c’est bien. En Afrique, c’est ce qui permettait de poser la marmite sur le feu. Le quatrième, ça serait une assise et le cinquième, une arme pour bien m’établir dans mon monde. J’aime dialoguer et naviguer entre les continents. Ce qu’il faut, c’est avoir la capacité de digérer la culture des autres tout en gardant la sienne.


“Ce qu'il faut, c'est avoir la capacité de digérer la culture des autres tout en gardant la sienne.”

Vous enseignez à Los Angeles. N’est-il pas plus facile d’être Noir parmi les Blancs en Californie qu’en France ?

Oui, je pense qu’il est plus facile d’être Noir aux USA malgré tout ce qu’on montre à la télévision sur les exactions. Quand je suis entré au Collège de France, ça a défrayé la chronique comme si j’avais marché sur la lune. Les USA sont l’endroit où je peux m’épanouir. Il y a toute une histoire de race, un combat qu’on doit respecter. Or ce combat n’a jamais été valorisé en France. L’Histoire de France ne prend pas en compte la part noire. Je dis souvent qu’elle est cousue de fils noirs. Aux États-Unis, à l’Université de Californie, je suis jugé par ce que je donne.


Comment définissez-vous votre littérature ?

Je la définis comme une littérature de pèlerinage. Elles permet à la fois de voyager vers des endroits qui ne sont pas forcément ceux que l’on rencontre : ma ville (Pointe-Noire), mon pays (le Congo-Brazzaville), la France, les questions d’aujourd’hui, la démocratie et la capacité à inventer le vivre ensemble. Mais c’est aussi une littérature de l’introspection de l’intime, l’intime comme réponse à notre enfermement d’aujourd’hui. En me définissant, je définis également l’autre.


Une question volontairement très ouverte : comment écrivez-vous ?

J’écris selon la situation, dehors beaucoup, dedans aussi, à la main, à la machine, quand j’ai envie. Je ne m’impose jamais une discipline, je sais que l’inspiration peut s’interrompre mais ça ne m’angoisse pas. J’écris n’importe où, quand je veux et quand je peux.


Lorsqu’on vous voit, on est frappé par votre style et la couleur de vos vêtements, quel sens y donnez-vous ?

Je ne recherche pas le look pour le look. Cependant, lorsque vous voulez trouver comment votre corps veut s’exprimer de manière stylistique, vous gardez simplement ce qui vous est propre. En Afrique, mes parents m’ont appris que quand tu sors, il faut toujours être propre car c’est ce qu’on juge en premier. L’intérieur, ça vient après. En Europe, les gens s’habillent plus sombre. Je me rends compte qu’ils sont souvent moroses en couleurs sombres. Moi, mes idées sont en couleur et pas en noir et blanc.


Quelques mots sur le programme d’Atlantide Les Mots du monde à Nantes 2018 ?

C’est un programme très ouvert sur les questions actuelles, les questions de l’Histoire, de l’imaginaire, du droit, de l’expression. Bref, les questions qui me taraudent. On y découvrira des voix inattendues. Et c’est l’essentiel.


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