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Aurélien Bellanger : “Je rêvais d’un succès”



Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Adeline Moreau pour Kostar


Aurélien Bellanger, la petite trentaine, est passé par Laval, rapidement, la Normandie, Nantes, la grande banlieue parisienne et l’Ille-et-Vilaine. Aujourd’hui Parisien, l’auteur de La Théorie de l’information, fresque techno autour d’un avatar de Xavier Niel, est le it-boy de la littérature française.


Quand rencontrez-vous le monde des livres ?

Très jeune. J’ai lu beaucoup et pour la frime. À dix ans, j’avais lu tout Jules Verne. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris. Mais je l’avais fait. Aujourd’hui, lorsque je dis que je relis tout Stendhal, ça fait toujours un peu snob. Mais c’est vrai et complètement débile. La première fois, j’ai complètement foiré ma lecture. Depuis toujours, le vrai enjeu, c’est la littérature.


Cela passe par des études littéraires…

À Nantes, du coup. Au lycée de La Perverie. Il n’y avait pas d’enjeu de concours. C’était une prépa qui n’était clairement pas au niveau des grandes prépas. J’en garde un excellent souvenir. Ce sont deux années amusantes et de glande totale.


Quelques années plus tard, vous abandonnez une thèse de philosophie consacrée à la métaphysique des individus possibles…

J’étais libraire et j’ai voulu reprendre la philo. Ça n’a pas été facile. Je m’étais fixé des objectifs forts. J’ai été un peu nul.


En tant que libraire, met-on ses fantasmes d’écrivain de côté ?

Pour cette raison, j’étais mauvais. Je n’étais pas bienveillant avec les bouquins des autres. Malgré tout, ce n’est pas désagréable de voir que les livres, finalement, ce n’est pas grand-chose. Ils s’accumulent et restent invendus. Je savais que ça allait être dur. Être édité n’allait être que le premier pas.


“Je connais plein de choses dans plein de domaines, mais je ne suis calé dans aucun.”

À quel moment la bascule s’opère-t-elle ?

À l’exception de ces deux années où j’ai voulu faire de la philo, j’ai voulu ne rien faire d’autre qu’écrire. Malheureusement, j’étais paresseux.


Pourtant, vous franchissez le pas avec l’essai Houellebecq, écrivain romantique ?

Dès le début, j’ai su que j’allais le faire en entier. C’était sérieux.


Pourquoi cette envie d’écrire sur Michel Houellebecq ?

L’enjeu était moins flagrant qu’aujourd’hui. Pour beaucoup, il n’était pas un écrivain. Il écrivait mal. Ça m’agaçait car je connaissais bien son œuvre. S’il y a bien un sujet sur lequel je sais que je suis compétent, c’est bien celui-là.

Aujourd’hui, on vous qualifie de nouveau Houellebecq…

Je n’essaie pas de le pasticher. Je n’avais pas cette veine réaliste. Je m’intéressais à moi et mes sentiments. Ce n’est que très récemment que je me suis dit que j’allais faire un roman réaliste, car je me passionne pour plein de choses.


Cette faculté de vous passionner pour plein de choses fait-elle de vous un écrivain geek ?

Si être geek désigne l’aptitude mentale pour la curiosité, je le suis. Si cela désigne la focalisation sur les nouvelles technologies, la fantasy et les jeux vidéo, je ne le suis pas. Ça fait de moi un type superficiel. Je connais plein de choses dans plein de domaines, mais je ne suis calé dans aucun. Pour la première fois, avec La Théorie de l’information, j’ai l’impression d’être à la hauteur de ce désir de tout connaître.


Quand décidez-vous d’écrire La Théorie de l’information ?

J’en ai marre de la librairie. Je fais une offre de départ un peu négociée pour toucher le chômage. Les deux premiers mois sont atroces. Je ne fais rien. Je me couche tard et je me lève tard. Je joue à Call of Duty. C’est déprimant. Heureusement, en décembre 2010, j’ai l’idée de La Théorie de l’information.


Comment vient-elle ?

D’une façon complètement conne. Je lisais La Comédie humaine de Balzac. Je voulais lire tout dans l’ordre. Du coup, un ami m’a dit d’écrire un roman balzacien.


Tout Balzac, relire Stendhal… Vous aimez les défis…

C’était surtout de la provocation. À la librairie, je ne lisais pas la rentrée littéraire, mais des trucs sérieux.


Ne seriez-vous pas un peu snob ?

C’est un vrai défaut, mais c’est formateur. Ça permet de se forcer un peu. Si ce n’était pas valorisé socialement de lire Madame Bovary à 14 ans, on ne le lirait pas et on passerait à côté de quelque chose. C’est aussi une façon de rêver la réalité. Bêtement, j’avais encore le mythe de l’écrivain inspiré. Je ne m’étais pas dit que c’était avant tout du travail. Je venais de lire des choses sur Xavier Niel. Je savais que le type avait un côté self-made-man. Les deux se sont raccordés.

Pourquoi avoir articulé votre livre en alternant ces parties théoriques à des parties narratives ?

Je tenais à ces parties. Je ne savais pas comment faire et j’ai trouvé cette solution. Beaucoup de gens sautent ces pages. Ce n’est pas un mauvais compromis. Ces passages sont courts. Ils ralentissent peut-être la lecture. Aujourd’hui, je ne le referais pas ainsi.

Qu’est-ce qui ne vous plaît pas ?

Le coup des deux récits qui se croisent. L’idée de la théorie dans le roman, je tiens ça de Houellebecq. Il avait dit que Balzac détendait beaucoup les romanciers, car il montre qu’ils ont tous les droits. Objectivement, si on prend Les Illusions perdues, le chef-d’œuvre de Balzac, il y a de la théorie, des digressions. Et pourtant, ça tient debout.


Comment avez-vous vécu le buzz autour de votre livre ?

Mon bouquin était dur. Je le savais. D’une façon très utopique, je rêvais d’un succès. Le premier retour critique est celui de Baptiste Liger (journaliste à Technikart et L’Express, NDLR). Il me dit que c’est est un vrai page-turner. Ça fait tilt. Même s’il n’est pas suffisant, c’est le meilleur qualificatif. Je m’attendais à ce qu’on me dise que le livre est ambitieux, compliqué, mais pas qu’il est facile à lire.


Vous teniez votre tube…

C’était mon objectif. Après, je n’ai pas formaté le livre en ce sens. Pourtant, j’avais cette idée que ça serait bien que le livre marche.


Du coup, que vous inspire votre éviction des listes du Renaudot et du Médicis ?

Je croyais en avoir rien à faire des prix. Je suis dans les sélections, et d’un coup, je trouve les prix géniaux. Quand je suis viré, je boude réellement. Ça m’énerve de bouder. Cela prouve que la vanité humaine, la mienne en l’occurrence, est sans limites.


On a parlé de La Théorie de l’information comme d’un roman Wikipédia. Quel rapport entretenez-vous avec l’encyclopédie en ligne ?

Je peux y passer des heures. J’ai vraiment des obsessions. Je ne savais pas que j’allais écrire sur la théorie de l’information. Pourtant, lorsque je tombais sur un article concernant l’informatique, je le lisais. C’est un bon test d’obsession.


Quelles sont vos obsessions du moment ?

Tout ce qui concerne la construction : les tunnels, les ponts…


Éprouvez-vous le besoin de vous raccrocher au réel ?

Je ne sais pas d’où ça vient. Je voulais d’ailleurs que mon prochain roman soit déconnecté. J’en suis incapable.


Qu’entendez-vous par roman déconnecté ?

Un roman qui ne nécessiterait pas de connexion Internet. Sans ça, je n’aurais pas pu écrire La Théorie de l’information.


En quelque sorte, on pourrait vous qualifier d’écrivain 2.0…

Je l’avais même théorisé. Plus je mets d’informations dans le livre, moins les gens sont tentés d’aller chercher ailleurs. Évidemment, c’est utopique. D’ailleurs, j’ai lu sur un blog que je ramenais un peu ma science. Ça m’a amusé. Ce n’est pas ma science, mais une science libre d’accès. Pour exagérer, un roman est un parcours aléatoire sur des pages Wikipédia. Ce n’est pas que ça, mais le fait que l’information soit publique, ça fait une grosse différence.


Pensez-vous à votre prochain roman ?

J’ai le thème et je suis prêt.


Quel est-il ?

J’ai une contre-mesure à La Théorie de l’information. Ça sera sur le TGV. Dans la mesure où La Théorie de l’information était sur le Minitel. Mais attention, je ne pense pas entrecouper les chapitres de parties sur l’histoire de la SNCF.


N’auriez-vous finalement pas peur d’avoir trouvé la bonne formule ?

Clairement. Cet été, j’ai commencé à écrire. Au bout de deux jours, j’ai arrêté. Je reproduisais la même chose. Lorsque je rencontrais une difficulté, j’allais sur Internet. J’ai découvert la motrice à huit roues. J’ai écrit un chapitre sur la motrice à huit roues. Dans mon esprit, l’idée est très claire, mais volontairement je n’y travaille pas pour le moment.

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