top of page
Rechercher

Christophe Honoré : “Faire un film ne suffit pas pour être cinéaste”



Interview par Patrick Thibault * Photo /Arnaud Baraer pour Kostar


Le temps d’une interview, le président du jury de Premiers Plans 2012, le festival des premiers films européens, regarde dans le rétro et évoque une année 2012 consacrée à l’écriture.


Si d’emblée, on évoque 17 fois Cécile Cassard ; à quoi pensez-vous ?

Je pense avant tout à Béatrice Dalle et à la chance que j’ai eue qu’elle accepte de jouer dans mon premier film. Le souvenir le plus fort du tournage, c’est elle. Et ce qu’il y a de plus réussi dans ce film, c’est aussi elle.


En 2002, le scénario de ce film reçoit le prix du public à Premiers Plans. Cela vous rassure-t-il dans votre décision de devenir cinéaste ?

Je ne suis pas certain que cela rassure. Un film lu n’est pas un film. J’étais surpris. Comme le film, le scénario était étrange et la narration, pas habituelle. Mais j’ai été touché et c’était de bon augure pour la suite.


Vous grandissez dans les Côtes d’Armor. Rêviez-vous déjà de cinéma ?

L’envie de faire des films date de l’adolescence. Je viens d’un milieu pas forcément cinéphile. À 14 ans, je formule à ma famille ma volonté de vouloir faire des films. Cette déclaration assez puérile a embarrassé tout le monde.


Dans quelles mesures ?

Ma famille est gênée pour moi. Elle dit que le monde du cinéma est inaccessible.

Il fallait que vous passiez d’abord votre bac en espérant que ce désir passe…

Bien sûr ! Le bac, puis maths sup. Avec, effectivement, l’idée que cette envie passe. J’étais un peu comme un gamin dont la vocation est un scandale social. Il est plus simple d’avoir un enfant qui veut devenir instit ou gardien de la paix.


La seule star du cinéma français, c'est le festival de Cannes.”

En quoi cela relève-t-il du scandale social ?

Ce n’est pas normal. Même encore aujourd’hui ! Mes collègues ne viennent pas beaucoup de milieux qui ne sont pas concernés par le cinéma. Il y a toujours un phénomène de cooptation. Malgré tout, l’apparition d’écoles a permis un brassage social. Et aujourd’hui, la donne a changé. Les moyens techniques permettent à plus de personnes de s’emparer du cinéma.


Y a-t-il eu un déclic à cette vocation ?

C’est compliqué ; car on a tendance à réécrire l’histoire. Très honnêtement, je n’en sais rien. Le fait que ce monde soit inaccessible était important dans mon attirance que j’avais pour ce métier. Et puis, j’avais envie de m’affranchir, de quitter mon village, d’aller à Paris.


Aujourd’hui, votre premier film, 17 fois Cécile Cassard, occupe-t-il une place particulière dans votre parcours ?

Oui. Et ce, même si faire un film ne suffit pas pour être cinéaste. Ça crée une borne. Mais assez étrangement, en arrivant sur Paris, j’ai publié des romans. J’ai vécu mon passage au cinéma d’une manière moins forte que la publication de mon premier roman. Là, c’était assez exaltant. Cécile Cassard était déjà dans le travail et non dans l’euphorie de la première fois.


Lorsque que vous clôturez le dernier festival de Cannes avec Les Bien-Aimés ; repensez-vous, en montant les marches, au chemin parcouru ?

Avec Cécile Cassard, j’avais monté les marches dans le cadre d’Un certain regard. J’avoue qu’il y avait quelque chose d’enivrant dans cette montée. Je me disais aussi que tout cela n’était pas réel. Après, mes retours à Cannes sont des sentiments plus mélangés. C’est toujours flatteur d’y présenter un film, mais ce n’est pas là-bas que je prends le plus de plaisir. Lorsque je suis entre Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, je ne suis pas à l’aise. Je me sens comme le provincial qui n’est pas à sa place. Mais je comprends tout ce rituel. Car la seule star du cinéma français, c’est le festival de Cannes.


Le fait de continuer à vous sentir provincial, vous permet-il d’aborder Paris différemment lorsque vous la filmez ?

Dans mon esprit, Paris est une ville romanesque. Et je ne veux pas montrer mon Paris. J’entretiens un rapport dégagé à cette ville. Elle m’embarrasse moins que la Bretagne lorsque je vais y tourner Non ma fille, tu n’iras pas danser. C’était gênant ; car j’ai donné une image de la Bretagne que je ne voulais pas. J’ai éprouvé un sentiment de fabrication de ces lieux liés à ma vie personnelle. Ça a été un obstacle de mise en scène.


Avez-vous toujours ce projet de film en costumes que vous tourneriez à Nantes ?

Ça fait partie de mes envies de cinéaste. Une partie de ma famille est de Nantes et j’ai un scénario assez romanesque sur elle. C’est un projet cher au niveau de la production. Et aujourd’hui, je n’ai pas l’assise financière pour me lancer dans cette aventure.


Comment envisagez-vous votre rôle de président du jury de Premiers Plans ?

L’idée du désir de cinéma va être important. Plus que ce qu’ils racontent ou montrent, les films doivent me parler de cinéma. Réaliser un premier film relève toujours de l’ordre du manifeste. Plus cette affirmation est forte – et ce même si elle est naïve ou maladroite –, plus ça me touche.


Vous n’êtes pas seulement cinéaste. Est-ce important de vous frotter à d’autres pratiques artistiques ?

Pour les artistes de ma génération, le décloisonnement est essentiel. La friction entre ces différentes disciplines nourrit beaucoup ma réflexion sur mon regard d’artiste. Filmer au présent, c’est aussi être spectateur du monde dans lequel on vit. Je suis surpris lorsque des cinéastes ne vont jamais au théâtre par exemple.


Pouvez-vous confirmer que vous travaillez sur une pièce qui serait présentée lors du prochain festival d’Avignon ?

On peut juste dire que je travaille actuellement sur une création pour cet été.


Donc 2012 ne sera finalement pas une année cinéma…

Je ne suis pas à l’abri de faire un Homme au bain 2. Mais c’est vrai que ça sera plus une année d’écriture pour moi.

bottom of page