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François-Régis Gaudry, master chef


Interview / Patrick Thibault * Photos / DR Publié dans le magazine Kostar n°60 - avril-mai 2018



Depuis quelques années, François-Régis Gaudry est le critique gastronomique qui compte. Que ce soit dans L’Express ou sur France Inter avec On va déguster, il mène un combat en faveur de la revalorisation de l’alimentation et des produits. De même qu’il valorise l’authenticité des chefs.

Une émission qui cartonne, L’Express, des livres, est-ce que ça ne monte pas un peu à la tête ?

Je ne crois pas car j’essaie de tout faire pour garder ce qui a fait entre guillemets mon succès : une immense curiosité à l’égard de tout ce qui se mange, les initiatives, la bonne chaire, l’agriculture durable… Bref, garder de la fraîcheur et de la curiosité, une espèce de naïveté sans être blasé.


À vous écouter ou vous lire, on vous perçoit enthousiaste, à tel point qu’on finit par se dire que vous aimez tout…

Mais j’aime tout parce que je suis d’une famille où on me forçait, sans contrainte mais avec exigence, à tout goûter. On me disait : “Si tu n’aimes pas, tu laisses mais tu commences par goûter.”


Y a-t-il des choses que vous n’aimez pas ?

Oui, j’ai une aversion pour la nourriture industrielle. C’est la partie peu reluisante de ce qui se mange. Je ne dis pas ça par snobisme ou posture esthétique mais par conviction et pour des questions de valeurs. Je crois fondamentalement que bien manger aujourd’hui, ça n’est pas seulement une position mais un combat.

“Je crois fondamentalement que bien manger aujourd'hui, ça n'est pas seulement une position mais un combat.”

Mais n’est-ce pas un combat de ”bobos” ?

Lorsqu’on se met à table, il y a bien sûr le danger de cultiver une forme de nouvel académisme snob ou d’entre-soi. On est entre esthètes de l’alimentation, on ne boit que des vins naturels et on ne mange que des produits bien sourcés. Mais tous les combats sont d’abord l’affaire de quelques-uns, un groupe de personnes un peu éclairées. Et je ne pense pas qu’on doive les appeler “bobos”, car c’est aussi l’affaire de paysans très impliqués qui ne sont pas là à se regarder dans le miroir du haut Marais.


Sentez-vous une évolution depuis les débuts de votre émission On va déguster ?

On en voit les signes. Le paysage alimentaire n’est plus le même. Il y a un énorme chemin parcouru, des initiatives partout, des variétés anciennes de légumes, des races d’animaux qui réapparaissent… Ça concerne une petite frange de la population mais l’idée, c’est bien de démocratiser cette approche de manière à convertir notre agriculture productiviste en un modèle pour tous.


Si on explore vos goûts, salé ou sucré ?

Salé. J’aime les desserts dans le rapport qu’ils entretiennent avec le salé.


“J'ai été très viandard dans ma jeunesse mais je me suis calmé.”

Viande ou poisson ?

Clairement poisson. J’ai été très viandard dans ma jeunesse mais je me suis calmé pour des questions de goûts mais aussi d’éthique. Je ne cuisine plus jamais de viande rouge chez moi. Je sens que je finirai végétarien.


Tradition ou modernité ?

Les deux. Je suis très attaché à la tradition. Et d’ailleurs je considère que pour qu’un chef soit moderne, il faut qu’il ait bien acquis les fondamentaux de la tradition.


Quelle image avez-vous de la Bretagne et des Pays de la Loire ?

Ça fait une grosse région qui a une énergie débordante en terme d’agriculture. En Bretagne, comme dans les régions qui ont été touchées par un modèle agricole intensif, on voit la riposte s’organiser. Les initiatives paysannes se multiplient. Regardez la renaissance du sarrasin, la vache nantaise, la vache pie noire, le gwell…


Quels sont vos critères de choix ou notation pour les restaurants ?

Je traque en priorité les chefs ou les restaurants où règne une forme de sincérité et d’intégrité. C’est- à-dire des chefs qui ne font pas la cuisine comme on pourrait faire n’importe quel autre métier mais par choix et conviction. Ça signifie d’abord une exigence en terme de choix de produits et la mise en valeur du territoire local. Je me suis lassé des triples axels et sauts périlleux des chefs. J’aime ceux qui veulent d’abord nourrir bien les convives, ceux qui mettent en avant les goûts plutôt que l’ego.


Julien Lemarié (ndlr : Ima à Rennes) semble être votre chef préféré dans notre région…

Je suis séduit par son talent. Il a su développer son propre univers, le nourrir de ses influences japonaises et surtout pas pour une question de mode. L’aménagement de son restaurant est réussi, ses plats sont inventifs et incisifs. Vous savez, je vais au restaurant sept à huit fois par semaine, beaucoup se copient. Il y a un mimétisme qui tient aux réseaux sociaux, à Instagram. Dans l’hyper communication, Julien Lemarié a réussi à ériger un style personnel avec une vraie démarche d’auteur.

“La gastronomie française se nourrit perpétuellement. Elle est ouverte à toutes les influences.”

Il y en a d’autres…

Bien sûr. Je pense qu’Hugo Roellinger ira loin. Il a à peine 30 ans et est pétri de bonnes convictions. Dans sa tête et dans son assiette. J’aime beaucoup Olivier Bellin de L’Auberge des Glazicks à Plomodiern. Xavier Pensec d’Hinoki à Brest. Lulu Rouget, à Nantes, a aussi des convictions et une attention forte… Quand je vais à l’étranger, on me parle toujours d’Alexandre Couillon mais j’avoue une lacune, je ne suis pas encore allé à Noirmoutier.


Pourquoi faire un livre aussi volumineux et lourd à l’heure des tablettes numériques et de Marmiton ?

Je crois au livre comme objet. Dans un panorama médiatique saturé par les réseaux sociaux, il doit se distinguer et sortir du lot, être le contraire d’un fast book. C’est un gros pavé et il est encombrant. Il n’a pas ce qu’il faut pour réussir. Mais dans une approche patrimoniale et culturelle de la cuisine, il doit s’imposer comme un livre de référence.


S’il fallait ne retenir qu’une chose de On va déguster la France

Peut-être son esprit curieux, sa transversalité, son mélange des genres. Il montre que c’est une discipline en mouvement, bien vivante quand elle s’irrigue de toutes ses influences. C’est tout sauf le petit musée, la gastronomie française se nourrit perpétuellement. Jamais repliée sur elle-même, elle est ouverte à toutes les influences.


Savez-vous à quoi est dû le buzz autour de la gastronomie ?

Paradoxalement, à l’heure où on parle de plus en plus du végétal et de la cuisine santé, il y a une énorme hystérie autour du sucré. Si vous voulez obtenir des likes sur Instagram, il suffit de poster des images de gâteaux. C’est comme un refuge dans un monde un peu morose, un acte régressif rassurant. Regardez le nombre de pâtisseries qui ouvrent…

“Je me détache de plus en plus de la cuisine sophistiquée. Je cherche la cuisine de l'émotion plutôt que celle de la sensation.”

Comment garde-t-on la ligne en étant critique gastronomique ?

En faisant attention à son alimentation et en s’octroyant des pauses qui ne sont pas du jeûne. Après un restaurant un peu lourd à midi, mon corps me dit le soir qu’il faut se calmer. Avant j’étais un sanibroyeur, maintenant, il y a un truc dans le métabolisme qui me dit de prendre un bouillon ou du riz blanc. Puis, je bouge beaucoup à un rythme effréné.


Qu’est-ce que vous aimez le plus au bout du bout ?

La cuisine du quotidien, pauvre, qui nourrit sans esbrouffe. La cuisine maternelle ou celle de la grand-mère. Celle qui ne triche pas, qui utilise peu de produits mais des bons et à la bonne saison. Je me détache de plus en plus de la cuisine sophistiquée. Je cherche la cuisine de l’émotion plutôt que celle de la sensation, et je vous assure que ça n’est pas si fréquent.


Votre plat préféré ?

La soupe corse de ma grand-mère. Entre la minestrone et la soupe au pistou provençale, c’est une soupe paysanne avec des légumes, des choux, des haricots secs et frais, des morceaux de pâtes, un petit morceau de lard. C’est extrêmement nourrissant et je la refais souvent.


Mais vous n’avez pas le temps de cuisiner, c’est une blague ?

Pas du tout. Je prends le temps de cuisiner tous les week-ends. Je vis à cent à l’heure, je suis nerveux et tendu. Le yoga et la cuisine, c’est hyper relaxant.


Le plat que vous n’aimez pas ?

C’est vraiment difficile car j’aime tout mais la viande de cheval a tendance à me faire tourner de l’œil.


Savez-vous ce que vous auriez pu faire si vous n’aviez pas été gourmand ?

Depuis tout petit, j’ai une passion pour l’ornithologie. J’aime observer les oiseaux. J’apprends à reconnaître leur chant, la couleur de leurs œufs… Là encore, c’est de la curiosité. J’aurais adoré être ornithologue.


On va déguster la France, François-Régis Gaudry et ses amis, éditions marabout, 432 pages.


On va déguster, France Inter, dimanche à 11h.


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