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Jérémy Guivarch, chef nantais engagé pour une pêche durable



Texte / Laurence Goubet * Photo / © Kristo pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°92 - octobre-novembre 2024


Amoureux de la Bretagne et engagé en faveur d’une pêche durable, Jérémy Guivarch ne craint pas d'affirmer qu’on peut proposer une cuisine de la mer tout en préservant les ressources. À partir des poissons, coquillages et crustacés de la côte atlantique, sélectionnés avec soin, il compose des assiettes goûteuses et justes d’un très bon rapport qualité/prix. Rencontre iodée !


Gwaien, le nom de votre restaurant est un hommage à la Bretagne…   

En effet, mes parents ont grandi à Audierne (Gwaien en breton), même si, pour ma part, j’ai fait mes études à Toulon. Mais systématiquement, je passais mes vacances à Audierne.


Vous avez donc toujours été en contact avec la mer…   

Dans le Sud, c’était plutôt pour les loisirs, alors qu’en Bretagne, la principale activité, c’était aller à la pêche avec mon grand-père. J’ai passé beaucoup de temps sur son bateau. Il m’a tout appris sur les techniques de pêche. Son bonheur était de nous voir sortir des poissons. La pêche était le seul moyen de me faire lever tôt le matin quand j’étais ado. En rentrant, j’allais rejoindre ma grand-mère en cuisine qui m’apprenait à préparer les poissons.


D’où est venue votre vocation pour la cuisine ?   

Un de mes oncles est pâtissier-boulanger. J’ai donc essayé la pâtisserie. Après un stage dans le sud de la France, qui s’est très mal passé, un chef m’a pris sous son aile et m’a fait découvrir la cuisine. À l’inverse de la pâtisserie, la cuisine a titillé quelque chose en moi. J’ai eu la chance d’être soutenu par mes parents qui ont accepté que je parte en lycée professionnel. À cette époque, ce n’était pas très bien vu…


"Les produits de la mer sont au centre de ma cuisine. C'est mon ADN."

Quel a été votre parcours ensuite ?   

Pendant ma formation, j’ai effectué plusieurs stages, en Afrique du Sud, en Espagne, en Suisse… dans des établissements plutôt gastronomiques. Ça m’a permis de me rendre compte que ce n’était pas exactement le genre d’endroits où je voulais travailler. L’été, je revenais et travaillais dans le même restaurant à Audierne. J’ai ensuite passé 6 ans dans un restaurant traditionnel (Le Serment de Vin) à Rennes, puis une année en Normandie. En mai 2013, je suis arrivé à Nantes pour prendre le poste de chef au Baco Saveurs. En 2019, quand les propriétaires ont décidé de vendre, j’ai su qu’il était temps d’ouvrir le mien.


Quels chefs vous inspirent particulièrement ?   

Je m’inspire de nombreux chefs, comme Christopher Coutanceau, les chefs japonais (et leurs techniques précises pour le travail du poisson), Alain Passard… mais aussi les jeunes chefs de la nouvelle garde comme Matthias Marc ou Tom Meyer qui sont très créatifs. Cette nouvelle génération est très centrée sur les produits et la saisonnalité. Il y a 15 ans, quand je démarrais, ce n’était pas aussi répandu. 


Entrée : maquereau brûlé, algues, toast au beurre.

Quelle est l’identité de Gwaien ?   

C’est l’identité d’un Breton qui a été adopté par Nantes et qui s’est laissé surprendre par son terroir riche. Les produits de la mer sont au centre de ma cuisine. C’est mon ADN. 


Travaillez-vous en direct avec les pêcheurs ?

Je n’ai pas de lien direct avec les pêcheurs de la côte atlantique. Nantes n’est pourtant pas si loin mais les pêcheurs préfèrent travailler avec les criées. J’ai un véritable lien de confiance avec deux grossistes. Je leur demande de me sélectionner uniquement des poissons de nos côtes (de Brest à Royan), toujours de saison et avec une méthode de pêche douce. Je suis engagé aux côtés d’Ethic Océan dont j’ai signé la charte pour une pêche durable.


“J'aime faire découvrir des poissons moins connus.”

Qu’est-ce qu’une pêche durable ?   

Une pêche qui respecte les fonds marins, les ressources, la biodiversité et la mer en général. Ça implique des critères en termes de taille de pêche des poissons, de méthode de pêche et de saisonnalité (afin d’éviter les captures pendant les périodes de reproduction notamment). Même si j’aimerais parfois proposer du cabillaud skrei, je me l'interdis. Je ne sers pas non plus de saumon, de poissons de grands fonds ou de poissons exotiques. Je cuisine seulement quelques kilos par an de thon rouge de ligne pêché localement. Quant au bar, je ne le travaille que deux fois dans l’année pour respecter drastiquement les périodes de fraie.


D'où vous vient cette sensibilité ?   

Le risque d'extinction des espèces me touche car, quand j’étais enfant, alors qu’Audierne était un port de pêche important pour les langoustes, elles n’étaient quasiment plus présentes. Il a fallu 80 ans avant de refaire les stocks. Au point que c’est devenu un produit premium qui se revend très cher aujourd’hui.



Plat : ventrèche de thon de ligne, aubergine fumée.

Quels sont les poissons que vous aimez cuisiner ?

J’aime faire découvrir des poissons moins connus comme la vieille. C’est un poisson côtier de roche aux couleurs magnifiques avec une chair fine et goûteuse. Elle est mal aimée, car jugée trop rustique mais elle gagne à être connue et n’est pas exposée à la surpêche. C’est le poisson que je sers le plus au restaurant. Il me rappelle les grandes tablées familiales au retour de pêche où les belles prises sont cuites entières. J’aime aussi le lieu jaune. Il a une reproduction permanente, donc je peux en proposer toute l’année. À ma carte, on trouve aussi le maigre, le maquereau, le tacaud, le merlan qui sont tous des poissons côtiers. Je préfère les poissons qui me rappellent que presque n’importe qui peut prendre son bateau et aller le pêcher lui-même en s’armant d’un peu de patience !


“J'aime jouer sur des notes fraiches et acides des épices.”

D’où vous vient cet engagement fort ?   

Il est venu petit à petit et s’est accéléré lorsque j’ai eu ma première fille. J’ai pris conscience que l’Homme est en train de tout abîmer et je me suis remis en question. Je me suis demandé comment moi, restaurateur, je pouvais agir à mon niveau. Nous avons un devoir d’information et d’éducation envers nos clients, en prêchant la bonne parole et par les bonnes pratiques. Ce qui m’a permis de renforcer cet engagement, ce sont les rencontres avec les producteurs. Travailler en circuit-court est fondamental pour moi.



Dessert : figue de Solliès, chèvre, olive.

Êtes-vous amené à faire des concessions ?   

J’achète des crevettes à ma femme car elle adore ça ! (rire). Pour ce qui concerne le restaurant, les concessions sont faites malheureusement pour des raisons économiques, ce qui est frustrant. J’aimerais ne cuisiner que des saint-jacques de plongée mais c’est très cher !


La mer, c’est aussi l’ouverture sur le monde et le commerce des épices…   

J’aime jouer sur des notes fraîches et acides des épices mais, de plus en plus, j’essaie d’amener ces touches à travers des produits qu’on trouve localement comme les baies de maceron qui sont une sorte de poivre de nos côtes, ou encore à travers les algues et les plantes halieutiques.


Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?   

De continuer à pérenniser Gwaien tout en sensibilisant les gens à la pêche durable…  


Gwaien Restaurant 63 rue de Bel Air, Nantes.

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