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Le moi dernier, par Pierrick Sorin, épisode 96

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  • 16 juin
  • 2 min de lecture


Texte et photo / Pierrick Sorin * Montage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°96 - été 2025


Le travail du Nantais Pierrick Sorin est mondialement connu. Depuis novembre 2006, il nous raconte son quotidien de créateur. Signé sorin, naturellement.


Ambiance nuit. La scène est plongée dans l’ombre. Une lueur bleutée monte doucement, éclaire une fenêtre obscure. En contrebas, des musiciens s’installent : violonistes, contrebassiste, joueurs de basson ou de hautbois… Un rutilant clavecin du XVIII e siècle trône parmi eux. Derrière le cadre de la fenêtre, un rideau coulisse. On découvre le type qui le manipule et l’intérieur d’une pièce : un atelier, peut-être. Un aquarium est posé sur une petite table. Le type attrape un œuf, le casse. À l’aide d’une cuillère, il mélange blanc et jaune dans un verre. Son geste provoque quelques tintements réguliers. Sonnent aussitôt les premières notes de musique : Haendel… Concerto grosso en si bémol majeur. De sa fenêtre, le type observe l’orchestre. Au rythme de la partition, il esquisse, verre à la main, quelques mouvements fluides et verse délicatement l’œuf brouillé dans l’aquarium. La matière liquide et colorée se déploie lentement dans l’eau. Elle prend la forme d’une curieuse méduse, puis s’écrase au fond du réceptacle. Le type attrape un autre verre. Une mixture fluorescente, cette fois, qu’il verse dans l’aquarium…  


“Rapidement, le spectateur prend conscience du simulacre : l’artiste n’est lui-même qu’une image, une sorte d’hologramme…”

Quelques instants plus tard, sur toute la largeur de la scène, c’est toute une compagnie de méduses géantes, de diverses couleurs, qui ondulent de haut en bas. L’orchestre est alors immergé au cœur d’une chorégraphie aquatique où se mêlent formes colorées et matières fibreuses. Morceau suivant : Bach… Concerto pour clavecin en fa mineur. Le type, derrière sa fenêtre, a mis en place un nouveau dispositif. À l’aide d’une manivelle, il fait tourner un disque couvert de taches de peinture. On distingue une caméra qui capte l’image du disque en mouvement au travers d’un pavé de verre. L’orchestre est maintenant immergé dans une immense peinture abstraite, à tendance psychédélique, qui se dilate sans cesse sous l’effet déformant du verre.  

On comprend la situation : le type derrière la fenêtre est une sorte d’artiste-décorateur. À l’aide d’objets, de matières banales et de discrètes caméras vidéo, il crée des images au rythme de la musique. Elles sont projetées sur un écran semi-transparent qui occupe tout le cadre de la scène et semblent flotter dans l’espace. Elles forment un tableau animé au sein duquel l’orchestre est en immersion. L’artiste-décorateur – que j’interprète, évidemment – donne l’illusion d’être réellement présent. Rapidement, le spectateur prend toutefois conscience du simulacre : l’artiste n’est lui-même qu’une image, une sorte d’hologramme… Cette description d’un « moment de spectacle » – tout comme l’image qui l’accompagne – est elle-même fictive. Elle exprime l’intention d’un projet collaboratif avec Stradivaria, orchestre baroque de Nantes. Le projet verra le jour si un financement est au rendez-vous. Par les temps qui courent, ce n’est pas gagné. Il serait plus facile de lever des fonds pour produire des hologrammes de militaires sur-armés ou de sous-marins nucléaires.  


Ce projet repose sur une collaboration entre Guillaume Cuiller, musicien et directeur artistique de l’orchestre Stradivaria, Sophie Iwamura, violoniste, Karine Pain et Pierrick Sorin, vidéastes. 

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