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Loic Prigent, l’homme à la caméra



Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Jeff Lanet/CANAL + Publié dans le magazine Kostar n°36 - été 2013


À même pas 40 ans, le réalisateur de l’émission pour Canal + Habillé(e)s pour… et de la série Le Jour d’avant où il s’invite chez Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier ou encore Donatella Versace, revient ici sur son drôle de parcours : de Plouescat aux coulisses des défilés du monde entier.


Comment un garçon de Plouescat en est-il arrivé là ?

Et pourquoi je ne me retrouverais pas là ? Il existe une bonne diaspora bretonne à Paris. Et, on n’est pas obligé de ne faire que des crêpes.


Malgré tout, votre parcours d’autodidacte reste singulier.

Je suis un fils d’agriculteurs. À la maison, on s’intéressait à la musique, à la peinture… Quand j’étais gamin, je faisais plein de fanzines. Sur l’écologie, les musiques électroniques… J’en ai même fait avec Gildas Loaëc. Ensuite, je suis monté sur Paris. J’ai écrit à Libération. Puis rapidement, il y a eu Canal +.


Vous parlez de Gildas Loaëc de Kitsuné. Vos succès respectifs vous font-ils aujourd’hui sourire ?

On ne se pose pas la question ainsi. Mais c’est marrant ; car lorsque nous nous sommes rencontrés en 1986 à Saint-François à Lesneven dans le Finistère, nous étions les pires ploucs, les pires nerds du lycée. Nous n’étions pas les mieux habillés. Et ça, tout le monde était d’accord pour le dire.


À cette époque-là, quel rapport entreteniez-vous avec la mode ?

Même si je portais les deux mêmes pulls par an, j’aimais bien la sape. En fait, c’est par la musique que je me suis intéressé à la mode. Des groupes comme les Happy Mondays ou toute la vague indé de Manchester ont bien influencé mon look. Aujourd’hui, je fais toujours attention à être à côté de la plaque. Et ce, même si j’ai la chance d’avoir un pipeline de vêtements Kitsuné à la maison.


“C'est par la musique que je me suis intéressé à la mode.”

Votre envie de Paris a-t-elle été immédiate ?

Oh oui ! Dès que j’ai su qu’à Paris, il y avait la tour Eiffel, j’ai voulu y aller. Avec mon grand-père, on regardait l’arrivée du Tour de France. Moi, j’attendais le plan aérien sur la tour Eiffel.


Une fois là-bas, découvrez-vous un autre monde ?

À l’époque, j’étais relativement sage. Je ne faisais pas trop de bêtises. Et tout de suite, il y a eu la rave des 20 ans de Libération. Je deviens pote avec les Daft Punk. Gildas et Guy-Man étaient en coloc. Attention, on était aussi pote avec plein d’autres gens qui sont devenus moins célèbres. Après, je me lance dans le journalisme.


Comment arrivez-vous à écrire sur la mode pour Libération ?

Un matin de mars 1997, le journaliste Gérard Lefort me dit qu’il ne peut pas aller à un défilé. D’un coup, je me retrouve tout seul au premier rang.


Vous êtes-vous senti à votre place ?

Oui, car avec ce mélange de distance et d’arrogance, j’étais une tête brûlée.


Il est difficile de vous imaginer arrogant…

Non, mais quand vous avez 25 ans, vous ne vous rendez pas compte de votre radicalité. À 25 ans, vous avez raison.


Vous considérez-vous davantage comme un journaliste ou un réalisateur ?

Je ne sais pas. Je suis arrivé dans le journalisme par hasard. Pareil, pour la réalisation. Je ne sais pas comment une caméra fonctionne. Et je ne vous parle même pas du montage.


Même si c’est par hasard, comment êtes-vous arrivé derrière la caméra ?

C’est un mec de Canal qui m’a forcé. Pendant le Festival de Cannes, il y avait Le Journal de la nuit. On y relatait les bamboules de Cannes. Le soir du pilote, à 23h45, le producteur me dit que je dois faire un sujet. J’étais tellement timide que pendant 15 jours, j’ai fait une rubrique de décryptage du festival sans montrer une tête. Je passais mon temps à filmer des corps sans tête. Ça leur a plu.


“La mode est un chaos contrôlé et unique.”

À quel moment, l’idée du Jour d’avant vous vient-elle ?

Je voulais filmer Sonia Rykiel. J’étais persuadé que si je la filmais non-stop pendant une heure, j’allais avoir un truc génial. Je propose le projet aux gens de chez Sundance Channel. Ils trouvent l’idée intéressante, mais ils me demandent de filmer un moment clé de la vie de Rykiel. Je pense alors à ces 48 heures précédant un défilé. On se revoit à New York. En cinq minutes, c’était réglé.


Mais à cet instant, Sonia Rykiel ne vous avait pas donné son accord…

Elle était en demande. Je l’avais filmée pour un Habillé(e s pour… assez hystérique. C’était les prémices du Jour d’avant.


Vous ne l’envisagiez donc pas comme un one shot…

Je l’ai tourné comme le pilote d’une série. Les trois autres épisodes se sont enchaînés.


Et tous, ont-ils été aussi simples à mettre en place ?

Fendi, pour des histoires de droits, ça a été compliqué. Par contre, Jean-Paul Gaultier a été rapidement convaincu par le projet.


Certaines maisons vous ont-elles claqué la porte au nez pour Le Jour d’avant ?

Certaines maisons ne voulaient pas que je perde mon temps à les suivre. Certaines ne voulaient pas que le public voit comment elles travaillent. Et d’autres ne voulaient pas que l’on montre qu’il y a un studio derrière.


Vous considérez-vous comme un privilégié ?

Non, non. Ça m’amuse.


Avec le temps, la mode vous amuse-t-elle toujours autant ?

Oui, car il y a toujours un moment où c’est vraiment l’éclate, ce moment où vous êtes certain de tenir une belle image. La mode est un chaos contrôlé et unique. Et ce, qu’il s’agisse d’un défilé à cinq mille ou cinq millions d’euros.


“Dans ce milieu-là, vous trouverez toujours un plus con et plus branché que vous.”

Quel créateur faut-il suivre aujourd’hui ?

Simon Porte, le créateur de Jacquemus. Ce mec a 23 ans et il fait des défilés pour le prix d’un vélomoteur. J’aime cette énergie. J’aime aussi les grosses machines. Marc Jacobs me fascine. Comment peut-on révolutionner à ce point la mode avec un simple t-shirt blanc avec des bandes noires ?


Et vous n’avez jamais osé franchir le pas, être à votre tour créateur ?

Les pauvres ! Je ne suis pas assez ambitieux comme garçon. Ma seule ambition est de refaire des fanzines. Le papier me fascine. C’est mon premier amour.


Parallèlement, vous avez aussi réalisé un documentaire pour Le Bon Marché Rive gauche avec Catherine Deneuve. Et vous avez signé la campagne de La Redoute avec Inès de la Fressange. Quelle place occupent ces réalisations dans votre parcours ?

La Redoute, je l’ai faite pour faire plaisir à Inès. La Redoute n’était pas censée dire que je la signais. Ils n’ont pas été cools. Quant au Bon Marché, le directeur artistique vient aussi de Saint-François. Il voulait se payer une campagne organique et pas trop coincée du cul.


Avez-vous déjà dû faire face à des propositions farfelues ?

Toutes les propositions sont farfelues. C’est quand même bizarre de se dire que l’on va filmer Deneuve dans les rues de Paris pour Le Bon Marché. Bon après, il est vrai qu’on m’a proposé de réaliser un documentaire sur la bite. Là, vous êtes content. Les mecs, ils ont quand même pensé à vous pour un doc sur la bite.


Finalement, ne craignez-vous pas qu’avec le temps, vous deveniez plus hype que la hype ?

Impossible. Dans ce milieu-là, vous trouverez toujours un plus con et plus branché que vous.

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