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Marcial Di Fonzo Bo, continuité et rupture


Texte / Patrick Thibault * Photo / © Christophe Martin - Le Quai


Depuis un peu plus d’un an, Marcial Di Fonzo Bo a pris la direction du Quai, le CDN d’Angers. Acteur et metteur en scène, l’artiste défend un théâtre contemporain. À l’heure où il présente sa première saison mais aussi sa première création à Angers, rencontre. 


Savez-vous ce qui a fait la différence avec les autres projets pour que vous soyez nommé à la tête du Quai ?   

Je crois que c’est l’expérience de 10 ans à la Comédie de Caen. Avec un bilan positif, la rénovation complète d’un théâtre, un projet extrêmement développé sur la transmission, point que l’on retrouve dans le projet du Quai. La troupe permanente et un bon bilan économique.


Dans quelle situation avez-vous récupéré Le Quai ? 

En parfait état. Le bilan financier était irréprochable grâce à cette saison de transition réduite en programmation. L’équipe avait été déstabilisée par le contexte de re-nomination et la saison de transition. Mais c’est reparti.


Que connaissiez-vous d’Angers ?   

Le Quai et donc le CDN. J’avais été invité comme artiste par Claude Yersin et Frédéric Bélier-Garcia. Je connaissais les plus anciens de l’équipe et un peu la ville car il m’était arrivé de rester lors des ateliers. L’idée de venir à Angers me plaisait. 


Et un an plus tard ?   

Je vis dans la Doutre. J’habite une maison dans ce beau quartier. J’ai rencontré les acteurs culturels. J’ai découvert l’activité culturelle, les festivals, les sites historiques, les bords de Maine et de Loire. Je connais un peu les habitants et je bois du vin de Loire.


“J'aime le théâtre qui parle d'aujourd'hui et qui donne des outils de pensée et d'émancipation.”

Quelles sont les grandes lignes de votre projet pour Le Quai ? 

C’est un CDN donc centre de création. Nous travaillons aussi sur l’international à travers le pôle européen de production, activé à notre arrivée même s’il date d’avant, avec 5 partenaires dont Nantes. Bien sûr, il y a nos artistes associés. Ma volonté, c’est d’impulser un projet cohérent qui se retrouve à l’endroit de la création mais qui soit en phase avec le public. Le développement d’un nouveau public fait partie de nos missions.


Qu’est-ce qui change vraiment ?   

La séquence Thomas Jolly est très particulière. Il est arrivé en 2020 et a donc eu plus d’un an de Covid. Il a fait des choses mais on peut difficilement parler d’un projet abouti puisqu’il s’est arrêté en plein vol. Que ce soit par rapport à Thomas ou l’héritage de Frédéric, j’ai le sentiment qu’un projet en rupture n’est pas idéal. Il faut changer, impulser un nouveau projet mais mêler continuité et rupture.


Vous êtes metteur en scène et interprète, quel théâtre défendez-vous ?   

J’ai principalement travaillé autour des écritures contemporaines. J’aime le théâtre qui parle d’aujourd’hui et qui donne des outils de pensée et d’émancipation. Un théâtre qui affirme une diversité de langues, d’origines, de pensées politiques… J’aime quand le plateau nous parle. Bien sûr, il y a 1 000 façons de le faire. J’aime trouver une manière généreuse et joyeuse de convoquer le public sans laisser de côté l’exigence.


Vous parlez souvent d’un théâtre engagé mais joyeux… qu’est-ce que ça signifie ?   

Je ne parle pas forcément du rire. La joie, c’est aussi une énergie, une lucidité de pensée, une générosité de l’acte. Le théâtre est ouvert. Il parle du monde. Il est poreux, attractif, fascinant, magique, inédit, éblouissant. Il faut que le public soit bouche bée. Nous devons lui proposer la rencontre avec quelque chose qu’il n’a jamais vu. 


Vous avez fui la dictature argentine très jeune en 1988, qu’est-ce que ça vous inspire dans la période actuelle ?   

Le chapitre “attention vigilance”, je l’avais déjà vécu et ça me poursuivra toujours. Cette période que traverse le monde, ça fait peur. C’est grave et inquiétant. La grande violence supplémentaire, c’est l’affranchissement des paroles : aujourd’hui, on peut dire haut et fort des horreurs. Ça devrait être interdit mais on s’habitue. Il faut se mobiliser, rester en alerte, que chacun à son endroit puisse résister. Mais, face à la menace de l’extrême droite, le peuple s’est mobilisé !


“Cette période que traverse le monde, ça fait peur.”

Qu’est-ce qui est le plus dangereux ?   

Le retour du fascisme, le retrait des libertés, de la parole. Cette situation est liée au capitalisme et à quelque chose de plus complexe qu’un coup d’état dans un pays d’Amérique du Sud avec 5 militaires qui se prennent pour dieu. La chute du néolibéralisme, c’est plus compliqué.


Vous avez évidemment vu que votre prédécesseur à la direction du Quai, Thomas Jolly a été menacé de mort après ses parti-pris de mise en scène de la cérémonie d’ouverture des JO…   

Il me semble que ce qui se dégage du geste de Thomas est bien plus large et bien plus fort et que ça l’emporte largement sur les réactions de quelques imbéciles. Il a emporté beaucoup plus d’adhésion que de rejet.


Vous ouvrez la saison avec la création de Dolorosa, pouvez-vous nous parlez du spectacle ?   

C’est une autrice allemande de ma génération. Rebekka Kricheldorf vit à Berlin. Elle a repris le texte des Trois sœurs. C’est une variation sur les thématiques, pas une adaptation. Elle renoue le fil en mettant en perspective la Russie de 1900 et l’avènement d’une révolution que Tchekhov n’a pas con nue. Elle pose ces questions aujourd’hui. Sa langue est prodigieuse. C’est fourni, bien écrit, drôle souvent. Il y a des partitions d’acteurs géniales et c’est important pour moi.


Vous serez présent en tant qu’interprète de Portrait de l’artiste après sa mort…   

Davide Carnevali, artiste associé au Piccolo Teatro di Milano, aborde la question des disparus dans les dictatures du XXe siècle. Il adapte son texte dans plusieurs langues pour qu’il ait une vie plus longue. Comme il a vécu en Argentine, il s’est intéressé aux victimes du régime militaire entre 76 et 83. Il a donc pensé à moi pour la version française. On suit l’histoire comme une enquête policière. J’étais ravi de pouvoir le faire.


Cette saison est aussi celle des fidélités : avec Matthias Langhoff dont vous avez été l’interprète, avec François Tanguy dont vous étiez proche, avec la langue espagnole dont vous présentez plusieurs spectacles…   

S’il y a des aînés dans les metteurs en scène invités, je tiens à la diversité des générations. Pour les spectacles en espagnol, c’est lié au fait que le Festival d’Avignon avait un focus sur la langue espagnole. Plusieurs équipes étaient présentes en Europe, c’était l’occasion d’en profiter. On s’est même associés régionalement avec d’autres scènes pour amortir les coûts.


“La question de la jeunesse dans les salles est un pari.”

Vous avez été formé au TNB à Rennes, directeur à Caen, maintenant à Angers, est-ce qu’il y a une dynamique théâtrale particulière à l’Ouest ?   

Je pense que l’Ouest est historiquement un terrain politique plus fréquentable que le sud de la France. Après la Bretagne et la Normandie, les Pays de la Loire : j’aurai bien connu le phare ouest !


Le théâtre a-t-il encore de beaux jours devant lui ?  

La question de la jeunesse dans les salles est un pari. Il est normal que les jeunes générations soient gourmandes d’autres types d’événements mais il ne faut pas s’avouer vaincu. Il faut penser à des formes, des événements, se remettre en question, bouger les lignes. Décloisonner un peu l’édifice des CDN, ça fait partie de la vie. Quand on travaille sur cette question, ça fonctionne et les jeunes reviennent. 


Est-ce que la mer vous manque ?   

Pas du tout parce qu’à Caen, elle est très froide. Le climat est tout aussi agréable à Angers. En Normandie, il y a les nuages qui passent vite, les cris des mouettes et le soleil qui ressort. Ici, c’est la douceur angevine !  


Dolorosa, trois anniversaires ratés, Le quai, Angers, 1er au 4 octobre 2024, 25 au 28 février 2025.

Portrait de l’artiste après sa mort, Le Quai, Angers, 7 au 9 novembre 2024, 26 avril au 7 mai 2025.

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