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Maïté Rivière : jouer collectif



Interview et photo / Nora Moreau pour kostar



Elle vient de reprendre les rênes de la scène nationale du Quartz, à Brest, alors que cette dernière connaît actuellement une mue intégrale et se voit privée de toit pendant les deux prochaines années. C'est la première femme à occuper ce poste ; et d'ailleurs, sa ligne directrice compte bien s'articuler autour de la parité et décloisonner les esprits comme les publics. Rencontre.


Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours jusqu'ici ?

Avant d'occuper mon présent poste, je dirigeais le Pôle culturel d'Alfortville (Poc! - 94) entre 2015 et 2020. J'ai pu travailler, encore avant cela, au Festival d'Automne, toujours sur Paris, au Théâtre de la Grange Dîmière, à Fresnes (94), et j'ai pu participer à la création de La Loge, dans le XIe arrondissement – un beau lieu ouvert sur la création – avant de rejoindre l’Office national de diffusion artistique (ONDA), en 2011. n J'ai aujourd'hui 40 ans, j'ai principalement grandi à Paris intramuros et j'habitais à Montreuil avant d'arriver à Brest, en mars.


La Scène nationale du Quartz était-elle un choix évident, pour vous, après avoir vécu aussi longtemps en région parisienne ?

Je connais bien Matthieu Banvillet (l'ancien directeur, qui était en poste depuis 2011, NDLR), et j'étais déjà venue pour Dañsfabrik. J'avais adoré l'énergie de la ville, l'ambiance, cette solidarité entre les équipements, et l'état d'esprit du public.

Je ne vais pas mentir, le confinement a fait ressortir une situation très compliquée pour nous, en région parisienne. On est nombreux, surchargés, avec une densité de population pas toujours évidente à vivre au quotidien. Honnêtement, on ne voyait plus l'intérêt de vivre là. On voulait changer d'air et d'horizon… Et l'occasion s'est présentée.


Et votre nouvelle ville vous plaît ?

Oui ! Il y a un mix de populations très différentes, qui crée naturellement une belle alchimie : étudiants, chercheurs, gens de mer, ouvriers, militaires… Et l'histoire de Brest, de ses transformations, son rapport naturel à l'océan, son dynamisme et son ouverture, c'est vraiment quelque chose que l'on ressent de manière forte en arrivant ici. C'est un bel écrin.


Pas trop au bout du monde pour vous ?

Pas du tout ! Au contraire, c'est à environ 4 h de train de Montparnasse… Franchement, ça n'est pas si loin.


Vous arrivez pile au moment où Le Quartz entame une période de deux ans de transformations radicales. Plus de Grand théâtre, plus de Petit théâtre, plus de studios, mais une saison éclatée entre les espaces publics et les équipements de Brest métropole. Vous arrivez directement dans le grand bain… et sans brassards…

J'étais bien au fait de la situation, mais j'ai été bien entourée. Le chantier, de manière générale, ça passionne les esprits, tout comme le nomadisme, qui est le mot d'ordre de cette nouvelle saison, en majeure partie concoctée par Matthieu et l'équipe – même si nous sommes tous deux issus de la même génération et que je me retrouve énormément dans les choix de programmation. n Le Mac-Orlan, la Maison du Théâtre, la Carène, le Centre d'art contemporain (Cac) Passerelle, Les Capucins, mais aussi les salles de spectacle des communes de Gouesnou, Plougonvelin, Plougastel, Le Relecq-Kerhuon... Il y avait suffisamment de partenaires de qualité sur Brest et ses alentours pour construire une saison solide. Ce qui est bien, c'est que, de deux événements en partenariat par an, on passe à cinq ou six. On nous fait de la place et ça se passe très bien !


Vous êtes aujourd'hui à la direction de l'une des plus importantes scènes nationales de province. La prochaine saison sera la vôtre. Comment voyez-vous votre rôle ?

L'idée phare, c'est d'aller à la rencontre d'autres publics, de faire aussi découvrir à nos spectateurs habituels de nouveaux lieux (les gens peuvent généralement venir d'un peu partout en Finistère ou au-delà, et on s'est dit que c'était chouette d'aller dans l'autre sens), mais aussi, à l'échelle de la ville de Brest, de toucher les quartiers et de mélanger les publics. On a déjà commencé à bosser là-dessus avec les associations, les scolaires et les mairies de quartiers. n C'est un premier travail de fond qui s'inscrit dans ce que souhaitait aussi Matthieu Banvillet, qui doit bien se poursuivre avant de revenir dans les murs.


Vous aviez aussi pour projet de garder la dynamique de l'“Agora” du Quartz, sur le parvis, qui a été imaginée et occupée par les intermittents pendant plusieurs mois, cette année ?

Tout à fait. Les réflexions apportées étaient intéressantes et faisaient en réalité partie d'une idée que nous avions. C'était un bel écho au projet d'occupation plus régulière du parvis.


Vous êtes la première femme à ce poste et vous ne cachez pas votre dynamique paritaire. Comment cela va-t-il se traduire ?

J'ai, bien sûr, une sensibilité très forte quant aux questions paritaires et c’est un enjeu très fort que j'ai pris pour l'avenir. J'aimerais qu'il y ait autant de porteurs de projets hommes que femmes, mais le plus important, c'est surtout la visibilité au niveau des plateaux ; qu'il soit grand ou petit, que ce soit en début ou en fin de saison. L'idée est aussi de réfléchir à comment valoriser chacun.


D'autant plus que le public est majoritairement constitué de femmes… et qu'elles se retrouvent souvent face à des hommes qui prennent la parole.

Après, je dois dire que je vais assez spontanément vers des projets portés par des femmes, car les sujets qu'elles vont travailler, souvent des questions sociétales et politiques, m'intéressent beaucoup.


Quelles seront les autres lignes directrices ?

Cela va passer aussi par la diversité dans nos équipes mais aussi par des politiques liées au handicap ou à l'inclusion, l'intégration. J'ai fait sport-études handball, et j'ai un rapport très fort au collectif. En tant que femme, on expérimente la discrimination et on y est forcément plus sensible, mais pour moi, le jeu doit être absolument collectif.


On va découvrir très vite les projets de vos artistes associés. Vous nous les présentez ?

Il y a Betty Tchomanga (compagnie Lola Gatt), qui est une interprète extraordinaire et une super chorégraphe. Elle raconte aussi bien le colonialisme que la décolonisation. Avec elle, on se replonge dans l'Histoire pour mieux comprendre le présent.

Ensuite, il y a Lucie Antunes, multi-instrumentiste qui a fait ses armes avec Moodoïd et Aquaserge. Elle est compositrice de musiques contemporaines et a un appétit certain pour tous les styles, de la traditionnelle en passant par le classique, le rock, le jazz et l'electro.

Puis il y a Jérôme Bel, danseur et chorégraphe déjà connu internationalement, qui travaille sur une réflexion environnementale forte et ne cache pas ses prises de position choc. Il s'entoure souvent de penseurs, de chercheurs, d'autres artistes pour aller plus loin.

Et nous avons fait le choix de ne pas nous arrêter à trois artistes. Nous avons proposé d'encadrer le collectif de théâtre Bajour, de Rennes, qui réunit sept anciens élèves du Théâtre national de Bretagne (TNB).


Quels sont vos coups de cœur dans la programmation 2021-22 ?

De Françoise à Alice, de Mickaël Phelippeau (28 au 30 septembre, au Mac Orlan), l'incroyable réécriture de Phèdre !, par François Gremaud (4 au 6 octobre, à Gouesnou,) ou encore le Dispak/Dispac'h de Patricia Allio (25 au 27 novembre à Passerelle).


Outre le nomadisme, un mot d’ordre pour résumer tout cela ?

L'ouverture.

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