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Mohamed Mbougar Sarr, interview recto verso



Interview / Patrick Thibault * Photos / Tangui Jossic pour Kostar


Interview recto


Comment vivez-vous l’après Goncourt ?

Assez tranquillement. J’ai pris un peu de recul mais l’effet d’étonnement demeure.


Votre Goncourt préféré ? (Ou ami ?)

Edmond* (mais Jules* devait être un meilleur ami). * Les frères fondateurs du prix.


Un conseil pour celle ou celui qui veut obtenir le Goncourt ?

Il y a une chose capitale à savoir et une action spécifique à faire pour avoir ce prix mais nul ne les connaît plus… Ah, si, ça me revient : marabouter les 27 millions d’autres personnes qui rêvent de l’avoir.


Ousmane Sow ou Youssou N’dour ?

Omar Pène.


Comment faire pour garder la tête froide après un Goncourt ?

J’aurais dit aller au pôle nord, si on n’y crevait de chaud. Je suggère simplement une casquette, une grosse casquette et une bonne bouteille de rire.


Votre Goncourt est-il un symbole d’intégration ?

Je n’ai pas cherché une intégration. J’ai écrit un roman qui a reçu un prix. Je ne veux pas être un exemple de quoi que ce soit. Il ne faut pas sur-symboliser ce Goncourt.


Pour qui lisez-vous ?

Les morts – lectorat exigeant. Je lis aussi des amis qui veulent avoir le Goncourt.


Qu’est-ce qu’un grand livre ?

C’est un livre qui nous interroge toujours un peu plus, ajoute à notre capacité de nous interroger sur nous-mêmes. Un livre qui pose une question nouvelle sur nous ou le monde.


La phrase dont vous êtes le plus fier ?

Je ne suis pas particulièrement fier des phrases que j’ai écrites, mais de celles que j’ai lues, oui, si elles sont vivantes et redonnent vie. En ce moment, une phrase de Musil : “S'il existe un sens du réel (...) il doit bien y avoir quelque chose que l'on pourrait appeler le sens du possible.” C’est presque une devise pour l’art du roman.



Interview verso


Votre roman est exigeant, drôle et cru, avez-vous la volonté d’accrocher le grand public ?

Je me méfie de ce qu’on appelle le grand public. Je ne sais pas ce qu’il a envie de lire. Je n’ai ni cette connaissance-là, ni cette prétention, je ne peux me raccrocher qu’à mes envies. J’espère seulement qu’il est aussi joueur que moi.


Votre juron préféré ? En sérère, l’intraduisible « suus yeex » – que je n’ose utiliser parce que ma mère me l’a interdit. En français, le délicat et sadien « foutredieu ! », que j’ai peur d’utiliser pour ne pas blasphémer. Ou l’aristocratique « palsambleu », que j’ai trouvé chez Beaumarchais mais que je n’ai jamais eu l’occasion d’utiliser. Ça viendra. Je ne jure qu’à l’écrit.


La meilleure façon d’aborder un écrivain, est-ce vraiment de le draguer ?

Des recherches sérieuses affirment que oui. Mais les mêmes recherches sérieuses disent aussi que si c’est un vrai écrivain, il y a 52% de chances qu’il vous mette un râteau. À vous de voir.


Pensez-vous réellement que les écrivains soient parmi les plus médiocres amants ?

Pour valider ou invalider ce propos, rien ne vaut l’expérience. Que chacun et chacune tente donc de coucher avec un écrivain. Mais rappelez-vous : 52%… À vous de juger.


Un quatrain pour draguer ?

Cette strophe de Baudelaire :

« Pour engloutir mes sanglots apaisés

Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;

L’oubli puissant habite sur ta bouche,

Et le Léthé coule dans tes baisers. »

Mais ça ne marchera pas. Sauf si vous faites un geste dramatique et obscène à «… l’abîme de ta couche »


L’incontinence littéraire est-elle l’une des maladies les plus répandues de l’époque ?

Oui, mais loin derrière la diarrhée verbale. Les deux ont la même solution : les couches (écolo).


“Il gamahuchait gourmandement”, c’est pour entrer à l’Académie française ?

Oui : je me disais qu’elle serait touchée par tout ce qui a trait aux attributs de la langue. Mais c’est raté.


Êtes-vous vraiment allé à Tharon-Plage ?

Deux fois. Il y a toujours trop de vent, mais je serai mieux équipé la troisième.



La Plus secrète mémoire des hommes, Prix Goncourt 2021, éditions Philippe rey.

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