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Pierre Lescure, Canal historique



Interview / Julien Coudreuse * Photo / Yann Peucat pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°31 - été 2012



Figure de Canal Plus, découvreur des Nuls et aujourd’hui directeur du théâtre Marigny, Pierre Lescure est, à l’heure où nous écrivons ces lignes, pressenti pour piloter la concertation sur l’Hadopi. Rencontre avec un homme allergique à l’ennui.



Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire vos mémoires ?

Dix ans sont passés depuis que j’ai quitté Canal Plus. Jusque-là, je ne souhaitais pas revenir sur ces années. Mais il y a deux ans, Grasset est revenu à la charge, et c’est venu comme une évidence. Je me sentais alors totalement détaché, désinhibé, et sans humeur particulière, pour raconter tout, y compris l’épisode Messier. Dans ce livre, je raconte beaucoup de personnages rencontrés : Desgraupes, Rousselet, Pinault, Chabat, Deneuve… Et ça, j’étais content de le faire un jour.


Pour l’écriture de ce livre, vous avez été épaulé par Sabrina Champenois, journaliste à Libération. Pourquoi elle ?

J’ai 66 ans. J’ai écrit À nous la radio pour la Bibliothèque rose qui, dès 1979, avant l’arrivée des socialistes au pouvoir et la libéralisation des ondes, racontait l’histoire de mômes qui créent une petite radio pirate. Mais on ne peut pas dire pour autant que j’ai une veine d’écrivain. Dès lors que j’ai accepté de raconter mon truc, je me suis dit que je ne le ferai pas tout seul. Je ne crois pas aux vieux journalistes qui vous disent : « J’ai un livre en moi depuis 25 ans, je l’écrirai un jour. » Si ça fait 25 ans, il doit être bien englouti le livre… En revanche, je sais que j’ai une certaine qualité à raconter les choses. Il fallait donc que je conserve une certaine oralité. Et Sabrina n’est pas une pro du pot, elle n’a jamais été nègre pour qui que ce soit. J’apprécie vraiment les portraits qu’elle fait dans Libé, avec cette singularité qui lui a, par exemple, fait faire quatre portraits de Viggo Mortensen !


Qu’est-ce qui vous a tant choqué dans votre licenciement ?

L’épisode du Zénith, quand je me suis retrouvé face à cinq mille personnes qui vociféraient, et que Jean-Marie Messier m’a annoncé mon licenciement… Il faut vraiment être dégueulasse, inconscient et méchant comme un enfant qui arrache ses pattes à une mouche pour faire subir ça à quelqu’un. C’était indigne de sa position.


Êtes-vous toujours persona non grata à Canal Plus aujourd’hui ?

Non, c’est fini ! J’étais blacklisté jusqu’à il y a environ un mois, mais c’est bel et bien fini. Il y a deux mois, le bouquin est sorti, et un beau matin, Denisot m’appelle. Il me dit : « Je voudrais, non pas qu’on arrache la page, mais qu’on la tourne. » Car Michel, le lascar, a le sens de la formule. Et il me dit qu’il voudrait m’inviter au Grand Journal. Du coup, je lui ai posé LA question. Et il m’a répondu : « J’ai demandé au-dessus, ils sont d’accord. »


Vous qui avez été journaliste, que pensez-vous de l’évolution de la presse ?

Je dînais récemment avec un copain journaliste aux Inrocks, qui me racontait les trois interviews qu’ils ont faîtes de Leonard Cohen dans sa vie. Peu après la création des Inrocks en 1988, ils ont fait un spécial Leonard Cohen. Ils ont passé quatre heures avec lui. En 1995, au moment du passage en hebdo, nouvelle rencontre avec Leonard Cohen, ils ont passé trois jours avec lui. Là, ils viennent de faire une couverture avec lui et l’interview a duré dix-sept… minutes ! Cherchez l’erreur… Cet exemple est pour moi révélateur d’une évolution négative, qui voit la communication prendre l’ascendant sur le journalisme.


“Glander ça veut dire continuer de se nourrir.”

Alors patron de l’info sur Antenne 2, vous êtes approché par André Rousselet, président de Canal Plus. L’une des conditions que vous posez est de pouvoir « continuer à glander ». Comment a-t-il pu accepter ?

Glander ça veut dire continuer de se nourrir. Pour conserver cette curiosité, cette fraîcheur, cette culture vivante, nécessaires dans nos métiers, il faut avoir du temps. Le terme “glander” a été un peu dénaturé, et signifie désormais “paresser”, ne pas faire le boulot du jour. Moi, j’ai besoin de prendre le temps d’aller musarder, ça me nourrit.

Vous savez, j’ai eu une chance infinie – merci le rock’n’roll ! Un jour, Rousselet rentre chez lui avec une liste de quelques noms, qu’il ne connaît pas ou peu, et le mien encore moins que les autres. Il retrouve ses enfants, âgés alors de 15 et 17 ans, et sa femme. Il leur montre la liste, et tous disent : « Commence par Lescure, il doit être sympa. Il a fait les Enfants du Rock. » Vous vous rendez compte à quoi ça tient ?


Pourquoi soutenez-vous François Hollande dans sa campagne présidentielle [l’interview s’est déroulée avant l’élection, NDLR] ?

Je le connais depuis une quinzaine d’années et, singulièrement, depuis 2008, on se voit beaucoup. J’aime beaucoup cet homme, j’apprécie sa compagnie, les échanges avec lui. J’aime sa manière de concevoir la politique. Déjà, avant le 14 mai 2011, j’emmerdais ma femme et tous mes amis en disant qu’il battrait Strauss-Kahn aux primaires socialistes !


Quelle est la dernière blague qui vous a fait rire ?

C’est une connerie : quelle est la différence entre un cruciverbiste homosexuel et un cruciverbiste hétérosexuel ? L’hétérosexuel prend Larousse, et l’homosexuel prend Le Petit Robert. 




In the baba

À la lecture de ses mémoires, on découvre un homme complexe et sensible, à la curiosité exacerbée. Journaliste à la radio (RTL, RMC) puis à la télé (Antenne 2), papa des Enfants du Rock, dirigeant du deuxième groupe de communication mondial suite à la fusion Canal-Vivendi Universal, et rare soutien de François Hollande quand personne encore n’y croyait, Lescure présente ici les personnages qui ont jalonné sa vie hors norme.

In the baba (Grasset).

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