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René Martin, masterchef


Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Tangui Jossic pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°39 - février-mars 2014


C’est au lendemain de Noël, autour d’un MacBook Pro et d’une paire d’enceintes Bose, que nous avons longuement rencontré René Martin. Le directeur artistique de La Folle Journée revient sur ce festival qui, depuis 20 ans, dépoussière la musique classique.



En 2012, vous déclariez au Figaro avoir eu l’idée de La Folle Journée au concert de U2 à La Beaujoire. Comment un tel festival peut-il naître au milieu d’un stade ?

Le rock m’a toujours passionné. Ce soir-là, je me suis demandé pourquoi ces 35 000 jeunes ne venaient pas par exemple au Festival de la Roque d’Anthéron que j’organisais déjà ? Les institutions de musique classique travaillaient avec leurs abonnés. Il fallait alors que je crée quelque chose pour ce public que nous laissions de côté et qui était susceptible d’aimer Stravinsky ou Béla Bartók.


Avez-vous eu l’impression de bouleverser les conventions ?

Beaucoup. Mais la même année, Le Facteur sort sur les écrans. Il est uniquement question de poésie et de Pablo Neruda. En France, je crois que le film a attiré 2 millions de spectateurs. Si autant de gens sont sensibles à la poésie de Neruda, alors ils peuvent être sensibles à un impromptu de Schubert ou de Chopin. J’ai mesuré qu’il fallait s’intéresser d’une autre manière à cet autre public. Cela impliquait de casser les cadres de la musique classique comme le concert qui dure deux heures. Alors oui, j’aurai pu louer La Beaujoire, faire venir Barbara Hendricks et un grand orchestre. Mais je ne voulais pas toucher à la dimension un peu sacrée de cette musique. Lorsque dans une salle, vous écoutez un quatuor à cordes, vous avez l’impression qu’il ne joue que pour vous. Et il était hors de question que je touche à cela.


Vous êtes-vous mis des gens à dos en modifiant l’approche de la musique classique ?

Je ne me suis mis quasiment personne à dos. Mais en modifiant cette approche, on a redonné confiance aux organisateurs. Aujourd’hui, il existe des copies de La Folle Journée et ça me fait plaisir.


“Je ne voulais pas toucher à la dimension un peu sacrée de cette musique.”

Il y a cette anecdote sur U2. Vous rappelez aussi régulièrement que vous êtes fan de Godspeed You ! Black Emperor…

Et d’Arcade Fire également.


Ne pensez-vous pas justement avoir raté avec La Folle Journée le virage des musiques actuelles que vous appréhendez d’une manière socioculturelle avec les ateliers de retranscriptions ?

Non, ça permet à de jeunes groupes de découvrir la musique classique.


Peut-être, mais en 2009 à La Roque d’Anthéron, vous êtes dans les premiers à programmer Aufgang qui fait aujourd’hui les beaux jours des festivals de musiques actuelles. Pourquoi attendre seulement cette Folle Journée 2014 pour inviter son pianiste Francesco Tristano ?

J’aime beaucoup la musique électronique. Mais là, il ne serait pas question d’être socioculturel, mais mode. Et je ne suis surtout pas mode. Être dans la tendance, je m’en fiche. Francesco, je le connais depuis 10 ans. Lorsqu’en 2004, il est lauréat du Concours international de piano d’Orléans, je l’invite partout. Maintenant avec son groupe Aufgang, il joue également partout. Mais cette année, vous allez être surpris. Cette Folle Journée est révolutionnaire.


En quoi cette édition consacrée à la musique américaine de 1860 à nos jours va-t-elle être révolutionnaire ?

Allez écouter le Collectif O et vous verrez qu’il est sur une autre planète. Pareil pour les compositeurs David Lang et Nico Muhly. Ils ne sont programmés ni au lieu unique ni ailleurs. Dans trois ans, vous les verrez partout.


Quels sont vos secrets de programmation ?

J’écoute les 700 œuvres que je programme. Je les connais toutes. Sauf s’il s’agit d’une création mondiale. Si je ne connais pas, je ne programme pas. Dans mon ordinateur, j’ai 15 000 morceaux que je classe selon les thématiques. Au fond, je fais mon concert égoïste.


“Je ne suis surtout pas mode. Être dans la tendance, je m'en fiche.”

Serait-ce alors le festival de René Martin plutôt que La Folle Journée ?

Même si c’est évidemment subjectif, la réponse est non. Je ne suis pas comme dans certaines structures culturelles où il y a un conseiller jazz, un conseiller rock. Je n’en ai pas besoin. Ça ne veut pas dire que je ne passe pas à côté de certaines choses. Mais je me tiens informé. Je passe 30 minutes par jour à télécharger des nouveautés.


Légalement ?

Oui !


Serions-nous proche de la discipline d’un sportif ?

C’est surtout un vrai plaisir. Quand je suis noyé sous les informations, ça me détend.


Avez-vous encore du plaisir à découvrir des choses ?

Je prends même un plaisir fou. Et cette année, La Folle Journée n’aura jamais été aussi audacieuse.


À un moment, la machine aurait-elle pu vous échapper ?

Non, je ne pense pas. Car je me réserve la création. Pourquoi La Folle Journée rencontre-t-elle un tel succès ? C’est parce que son contenu est indiscutable. Vous pouvez bien évidemment me dire qu’il n’y a pas assez de musiciens électroniques, mais je vais vous expliquer pourquoi et vous montrer que certains sont à la pointe. Je reviens sur Nico Muhly. Ce jeune Américain travaille avec des iPod, des boîtes à rythme. On est même au-delà de la musique électronique. Ce qu’il fait, c’est hallucinant.


Finalement quel va être votre programme pendant cette Folle Journée ?

Je vais absolument aller écouter le concerto pour violons de Samuel Barber. C’est quasiment cinématographique, sans prise de tête et d’une beauté rare.


Pour sa 20e édition, La Folle Journée présente un panorama de la musique américaine de 1860 à nos jours. Un nouveau cap, forcément séduisant.

La Folle Journée en région des Pays de la Loire, du 24 au 26 janvier.

La Folle Journée, du 29 janvier au 2 février, La Cité, Nantes.


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