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Thomas Jolly : “Prendre des risques fait avancer”


Interview / Patrick Thibault * Photos / Jean Louis Fernandez Publié dans le magazine Kostar n°62 - octobre-novembre 2018


Défi relevé pour Thomas Jolly qui s’est vu offrir la cour d’honneur du Palais des papes pour l’ouverture du festival 2018. Son Thyeste va maintenant vivre en salle. Au Grand T, dont il est le nouvel artiste associé, et au Quai à Angers. Rencontre.

Comment porter au théâtre une œuvre aussi monstrueuse ?

Thyeste est une des pièces les plus dingues qui soient. C’est un défi qui me commande d’être inventif à plein d’endroits car au début, on se dit que c’est impossible. Nous avons travaillé très en amont pour trouver les moyens les plus justes qui répondent d’abord aux exigences de l’auteur. À l’arrivée, c’est magique. On se dit que le théâtre et le spectateur peuvent créer énormément de choses.


Avignon, la cour d’honneur et Thyeste, vous aimez multiplier les risques…

J’ai entendu dire “le risque dingue”, “le pari fou”. J’aime le spectaculaire et je dois dire que ça ne m’effraie pas. Prendre des risques fait avancer.


Comment s’approprier un personnage aussi abominable qu’Atrée ?

Il faut surtout ne pas le condamner. C’est compliqué car, évidemment, je ne valide ni l’infanticide ni le cannibalisme. Il faut aller chercher la part d’humanité du monstre, comprendre sa logique et essayer de la défendre. C’est un voyage dans la monstruosité, comme un avocat. Atrée est pétri de douleurs et sa seule issue, c’est d’entrer dans cette phase monstrueuse.


Est-il amoral ou immoral ?

Il est humain ! Aller chercher la part humaine d’un monstre, c’est aussi interroger ma propre part de monstruosité. Je connais la jalousie et l’envie mais mon éducation, ma culture et ma pondération font que je tempère. Atrée non.


“Aller chercher la part humaine d'un monstre, c'est aussi interroger ma propre part de monstruosité.”

Ça ne vous gêne pas d’être crédible dans un personnage aussi amoral ?

Pour moi, c’est jubilatoire ! Mon objectif était de faire pleurer à la fin de Richard 3. Même Shakespeare ne condamne pas.


Vous n’êtes pas a priori taillé pour le rôle, est-ce que ça veut dire que vous pouvez tout jouer ?

Moi, je pense que tous les acteurs peuvent tout jouer. Il y a un très beau Roméo et Juliette avec Denis Lavant. Ça serait facile si les monstres n’étaient que des brutes épaisses. Regardez Bachar el-Assad et sa tête de gendre idéal.


Vous déclariez que Shakespeare trouvait écho dans toutes les époques, en est-il de même pour Sénèque ?

Je crois à la règle du temps. Si les pièces sont encore là, c’est qu’elles ont des choses à nous dire. Sénèque passe par la mythologie et ne pose aucun cadre religieux, ni moral pour ne pas avoir de limite. J’ai voulu garder cette dimension mythologique pour que chaque spectateur puisse se projeter. Mon travail consiste à rouvrir les vannes pour que la pensée fonctionne sans dire quoi penser. Et maintenant, on me parle de Bachar, de la Shoah, des migrants, de Jacqueline Sauvage, de l’abstention… de la vaisselle de Macron.


Que nous dit Thyeste sur le pouvoir aujourd’hui ?

Beaucoup. Que le roi est inébranlable et invulnérable mais que chacun peut être roi. Ce sont des notions plus philosophiques que politiques. De mon point de vue, Sénèque nous dit qu’Atrée attente à l’humanité. Cette douleur personnelle qui l’emporte par l’orgueil emmène le monde dans sa chute et le peuple est sa victime.


Comment transposer ce spectacle en salle ?

Quand on m’a proposé la cour, je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour et surtout pas si tôt, j’ai voulu vivre cette aventure passionnante et unique. Je ne voulais pas passer à côté des murs du palais et des martinets. Il n’était pas non plus question de s’arrêter là. À huis clos, le spectacle va gagner en onirisme, en intensité et en oppression.


Êtes-vous baroque ou pop ?

On est dans une époque qui ressemble au baroque. Le récit contemporain est troublé, et à chaque fois, on répond par la profusion. Pop, ça m’ennuie car tout artiste doit être pop dans un sens populaire avec l’exigence. Je suis de ceux qui ont grandi avec internet et les smartphones. Cette énorme fenêtre ouverte fait qu’aujourd’hui je me sens un jeune de mon temps et je ne mets pas de hiérarchie entre culture savante et pop. Lady Gaga travaille avec Bob Wilson et Beyoncé est au Louvre.


Comment fait-on pour garder la tête froide quand on parvient à votre âge à se coltiner la cour d’honneur ?

C’est tellement un travail de chien ! Rien n’est facile dans la cour d’honneur. Dès qu’on commence à faire son malin, elle rappelle qu’elle décide. Je n’en boude pas mon plaisir, c’est de la joie. Mais il faut être humble sinon la cour décidera et c’est elle la plus forte. C’est moi qui suis invité chez elle.


Avoir un ancien président de la République à la première, était-ce une pression supplémentaire ?

François Hollande est un Président que j’ai beaucoup croisé et il m’avait promis de venir. Je lui ai évidemment demandé ce qu’il pense du pouvoir de la succession, de la politique et de la violence. Il m’a répondu que la pièce nous dit que ça n’est pas bien de manger les enfants mais que les enfants pourraient nous manger aussi. De sa part, j’ai trouvé que c’était intelligent, fin et drôle.


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