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Timothée Demeillers, les mots pour le dire


Texte / Vincent Braud * Photo / Claire Duvivier Publié dans le magazine Kostar n°73 - décembre 2020-janvier 2021

C’est à un étrange voyage que nous invite Timothée Demeillers. Pas vraiment une promenade de santé. Le jeune auteur (à découvrir d’urgence !) nous entraîne en effet dans un pays en train de se défaire. En train de basculer dans une effroyable boucherie. Bienvenue en ex-Yougoslavie.


À 6 ans, Timothée Demeillers n’imaginait pas un instant devenir écrivain. Tout juste reconnaît-il avoir, très tôt, porté son regard à l’Est. S’il est né à Angers, il a très vite élargi son terrain de jeu : une maman d’origine allemande, une enfance partagée entre l’Anjou, la Bavière et la Tchéquie, des études de Sciences Po ensuite… ont contribué à cette ouverture au monde. Londres, Sidney, Prague… il a pas mal bourlingué avant de poser ses valises à Nantes. Pour mieux repartir et nous faire voyager.


Une écriture en immersion

C’est en 1991 que tout bascule dans cette Yougoslavie qui a survécu, tant bien que mal, à la mort de Tito. Mais, deux ans après la chute du mur de Berlin, tout se met en place pour une guerre aux portes de l’Europe. Et c’est à ce moment précis que commence Demain la brume. Une brume qui enveloppe tout d’abord Nevers où Katia et Pierre-Yves s’ennuient à mourir.

C’est en effet de la jeunesse dont nous parle Timothée Demeillers. Qu’elle vive sur les bords trop tranquilles de la Loire ou dans le cadre bucolique d’un village de Croatie, cette jeunesse s’ennuie. Elle vit dans cet entre-deux, plus tout à fait enfant pas tout à fait adulte, où les rêves peuvent se fracasser, sans prévenir, sur des fractures d’un autre temps. « En 1991, je vivais dans la crainte que ce qui se passait là-bas puisse venir jusque chez nous… » Une peur que l’enfant d’hier n’a pas oubliée.

Timothée Demeillers est un écrivain d’immersion. Comme il l’avait fait pour Prague, il part donc à Vukovar en 2014. Il y va pour réaliser un documentaire. De ce long séjour, de ses rencontres, il revient avec des images bien sûr mais aussi, dans la tête, l’envie de (re)donner vie à une jeunesse sacrifiée. « J’écris pour poser des choses difficilement exprimables à l’oral… » Dans cette guerre entre voisins d’un même village, au sein d’une même famille, ou dans un groupe de rock, le pire devient tout à coup possible. « Qui se souvient aujourd’hui qu’en 1992, Francis Fukuyama nous prédisait la fin de l’Histoire, la fin des guerres ? Le mur de Berlin était tombé, tout irait désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes… »

Or, il y a tout juste 30 ans, tout se mettait en place, entre Sarajevo et Zagreb, pour un retour de la barbarie. Dans l’indifférence générale, ou presque. Timothée Demeillers ne nous donne pas une leçon d’Histoire ou de géopolitique. La question qui semble le préoccuper c’est “et l’homme dans tout ça ?”. Comment deux potes qui font vibrer la jeunesse au rythme d’un titre prémonitoire – Fuck you You – peuvent-ils, un jour, avoir à choisir leur camp et à se combattre ? Pas le choix, en fait, puisque “ceux qui ne veulent pas choisir sont forcément des traitres à la patrie.”


30 ans plus tard...

Dans cette guerre, la frontière pouvait être une rivière, comme à Mostar. Elle pouvait aussi, comme à Vukovar, couper un quartier en deux. Rien à voir avec ces guerres technologiques, vendues à grand renfort d’images de frappes “chirurgicales”. Ici, on se terre dans les caves et on sort juste pour tirer sur celui d’en face, en treillis d’opérette ou en survêt du Bayern de Munich. Une autre guerre de tranchées à la fin du siècle dernier.

Voyageur impénitent, Timothée Demeillers s’interroge et nous interroge sur cette notion de frontière. « Hier, tout était simple. On allait en Espagne, ou ailleurs, il y avait une frontière, un poste des douanes… Aujourd’hui, la frontière est devenue une notion un peu floue, un peu mouvante… De même pour la frontière entre le vrai et le faux. On voit aujourd’hui, avec les fake news, que la vérité peut devenir relative. »

Le paradoxe, et le talent aussi, est de parvenir à parler de ces sujets sérieux, graves, violents parfois, avec justesse et parfois légèreté. Timothée Demeillers donne corps et chair à chacun de ses héros anonymes qui font la guerre avec Brothers in arms de Dire Straits à fond dans les oreilles. Ou Another day in paradise de Phil Collins.

On suit alors ces histoires de passions, entre ici et là-bas. Des histoires qui résonnent étrangement en 2020. D’autres jeunes qui s’ennuient dans un horizon aussi bouché que celui de Nevers et rêvent d’un autre monde peuvent en effet partir, un jour, pour des combats qui ne sont pas les leurs dans l’espoir de se sentir vivants… avant de mourir. Sans forcément avoir eu le temps de voir la brume se lever.

Demain la brume, Thimothée Demeillers, Asphalte éditions.

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