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William Christie, Monsieur William !


Interview / Patrick Thibault * Portrait / Denis Rouvre Publié dans le magazine Kostar n°51 - été 2016

Où les mélomanes iront-ils cet été ? À Aix-en-Provence ? À Bayreuth ? À Salzbourg ? Peut-être. Mais aussi à Thiré, dans le Sud-Vendée, comme le suggère le Washington Post. C’est là que le chef franco-américain qui a contribué à la redécouverte de la musique baroque a créé un jardin extraordinaire. Il y propose un festival appelé tout simplement Dans les jardins de William Christie.


Quelle est votre définition du baroque ?

Stricto sensu, c’est une époque, les XVIIe et XVIIIe siècles dans un contexte esthétique. Maintenant, c’est devenu un adjectif qui a une connotation un peu péjorative alors que c’est tout simplement un moment de l’histoire de la musique.


Est-ce que ça vous agace quand certains parlent encore d’une mode du baroque ?

Les gens qui utilisent ce genre d’argument n’aiment pas la musique. Barenboim vous dira que les instruments anciens sur lesquels nous jouons sont inférieurs aux instruments modernes. Le Caravage est-il quelqu’un qui vit la mode ? Il n’y pas un opéra au monde, un conservatoire qui ne reconnaisse pas le bonheur et la valeur de cet immense élargissement du répertoire que nous avons redécouvert.


Vous avez fortement contribué avec Les Arts Florissants à la redécouverte du répertoire baroque. Est-ce votre plus grande fierté ?

Je suis content d’avoir participé à ce mouvement. La fierté, c’est que ce que nous avons fait touche les auditeurs et c’est le plus important. La bonne définition d’un art baroque, qu’il soit musical, pictural, littéraire…, c’est qu’il veut toucher son interlocuteur. J’ai passé ma vie à communiquer ça et pouvoir dire que c’est transmis à une jeune génération qui va continuer, c’est le contraire de cette idée de mode ou de mouvement qui ne vivrait que quelques années.


“J'ai conçu ce jardin pour y jouer de la musique.”

Comment avez-vous découvert la maison de Thiré ?

C’est une sorte d’accident. J’avais trouvé la maison de mes rêves pas loin et je n’ai pas pu l’avoir. Six mois plus tard, au volant de ma petite voiture, j’ai vu une façade de l’autre côté de la rivière. J’ai vu le même genre de maison dans le même état de délabrement et je me suis dit “c’est ça, c’est Thiré”.


Aviez-vous déjà imaginé le jardin que vous avez conçu ensuite ?

Il était dans mon imagination mais ça a atteint des proportions tout à fait inattendues. L’idée, c’était de partager un lieu avec d’autres, en faisant de la musique.


Mais vous avez tout de même conscience d’avoir orchestré un jardin privé qui est au niveau de jardins et parcs publics historiques…

C’est gentil de le dire. Quand j’ai quitté La Coudraie en 83-84, j’ai voulu rester en Vendée et j’ai préféré un lieu où il y avait tout à faire dans une campagne un peu endormie plutôt qu’un jardin déjà reconnu pour sa beauté. J’aime le challenge et il reste encore beaucoup à faire.


Le jardin de Thiré, c’est à la fois un jardin du patrimoine et un jardin d’aujourd’hui ?

Oui car je n’ai suivi aucun modèle. J’ai été fortement influencé par les jardins d’autrefois mais c’est un jardin éclectique qui correspond à mes goûts et à mon passé et qui n’est surtout pas achevé. C’est un jardin personnel en constante évolution et ça m’intéresse de l’envisager au-delà de moi sur 40 à 50 ans.


Vous allez arriver à la cinquième édition du festival Dans les jardins de William Christie, aviez-vous imaginé un tel engouement ?

J’ai conçu ce jardin pour y jouer de la musique. Si le festival est apprécié, c’est dû à trois choses : le talent que je peux convoquer, la complicité du Conseil départemental et de nos mécènes américains et français. Et parce que c’est un festival insolite et unique dans la façon de se produire, d’écouter et participer à la musique. Insolite et unique.


“Je crois que je suis tout à fait tendance.”

Régionalement parlant, la population sait encore assez peu qui vous êtes…

C’est une très bonne chose. Nous avons une renommée mondiale, ça c’est la notoriété. Il reste à faire sur le plan pédagogique mais nous allons y arriver.


Vous avez une actualité importante et continue, comment voyez-vous l’avenir des Arts Florissants ?

Avec toujours ces jeunes talents et ce répertoire que nous aimons, j’espère continuer à accueillir un même public. Nous avons sillonné la planète et ça va continuer avec la Corée, la Chine, le Japon, l’Amérique du Sud et du Nord.


Quel regard portez-vous sur la culture en France et en Europe ?

C’est une question complexe sur un terrain un peu miné en ce moment puisque la culture en France vit à travers les individus au pouvoir. Dans un certain nombre de villes et collectivités, la culture subit quelques problèmes. Au moment où l’économie va mal, la culture devient moins importante. Dans mon milieu, je dis avec une immense fierté que la France a réacquis une noblesse extraordinaire. Les jeunes talents français s’exportent partout. Nous avons les meilleurs clavecinistes, organistes et directeurs. Et quand on me demande si je serais mieux ailleurs, je réponds toujours qu’en dépit de toute sorte de problèmes, la France arrive à défendre les arts.


Vous vivez pour le baroque, vous avez conçu un domaine qui lui ressemble. Êtes-vous totalement à l’aise avec le siècle dans lequel vous vivez ou parfois en décalage ?

En décalage non, je crois que je suis tout à fait tendance. Je suis arrivé en Europe pour faire de la musique contemporaine que j’adore toujours. Interrogez-moi sur une autre époque et vous serez surpris. On peut imaginer la question ainsi : pourquoi ne jouez vous pas de Wagner ou ne participez-vous pas à des concerts avec l’Ensemble intercontemporain ? Pourquoi n’avez-vous pas de mobilier tendance Memphis ou Milan 1990 ? Allez-vous aux concerts de techno ? Étiez-vous aux vernissages de Basquiat ? J’ai une vie, j’ai sélectionné ce que j’aime et qui n’a rien de passéiste. Je me consacre à une musique que je vis comme si elle avait autant à dire qu’une musique jeune.


Dans les Jardins de William Christie, Jardins du Bâtiment, Thiré. www.festivalwilliamchristie.vendee.fr www.jardindewilliamchristie.fr www.arts-florissants.com


© Jay Qin

© Joseph Disponzio

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